Peter Broderick & Machinefabriek - Mort aux vaches

Publié le 17 Décembre 2012

Peter Broderick & Machinefabriek - Mort aux vaches

Peter Broderick, ce jeune compositeur américain né en 1987, multi-instrumentiste qui participa au groupe danois Efterklang, étoffe ces temps-ci sa discographie. Sa rencontre avec Rutger Zuydervelt, guitariste, artiste sonore néerlandais connu sous le nom de Machinefabriek depuis 2004, nous vaut ce magnifique Mort aux vaches, trois sessions en partie improvisées en compagnie d'autres invités, comme le pianiste Nils Frahm, Jan Kleefstra pour ses mots, Romke Kleefstra, son frère, à la guitare et aux effets, et Anne Chris Bakker, compositeur de musique électroacoustique, expérimentale ou ambiante originaire de Groningue aux Pays-Bas, ici à la guitare, aux effets et à l'ordinateur, tous les quatre pour la seconde session. 

Meph. - Cela commence avec des enregistrements de sons extérieurs : cliquetis, cris d'enfants au loin, toute une vie discrète. Le violon s'introduit par courtes plaintes prolongées de halos de drones : entrée dans l'univers somptueusement mélancolique dont on peut dire, sans jouer sur les mots, qu'elle est sa marque de fabrique sans machine...

Dio. - Toi, te laisser ainsi aller !

Meph. - Laisse-moi parler du surgissement feutré du piano, dans les médiums d'abord, puis dans les graves. On entend une machine - je n'y peux rien - à écrire. Les textures se resserrent insensiblement, quelque chose cherche à s'élever dans un climat d'intense émotion. Il y a là comme un lyrisme cérémoniel, en sourdine, avant que la cadence au violon ne vienne nous enlever.

Dio. - Et tout se soulève, dans une montée irrésistible, la voix de Peter en bourdon tout au fond de ce grand mouvement farouche que le piano martèle. C'est puissant, et délicat, méditatif, lorsque le piano se retrouve presque seul dans un environnement légèrement ondulant de sons rugueux, égrenant et laissant résonner ses notes limpides, isolées ou en accords plaqués tandis que le violon, en retrait laisse entendre des notes déformées, étirées.

Meph. - Le disque continue avec la session III, piano en avant, guitare en second plan, avec une dimension "orchestrale" plus sensible, des arrière-plans à la fois plus harmoniques et électroniques. La pièce prend des allures de toile miroitante, oscillante, alternant avancées et moments d'apesanteur. Soudain s'élèvent des voix miaulantes tandis que les ondes courtes se brouillent. Retrouvailles avec les meilleures envolées des grandes pièces psychédéliques, mais d'une fantastique douceur. 

Dio. - Incroyable polyphonie de voix suaves au cœur de cette session océanique, sur laquelle le piano vient marcher comme un miracle, histoire de pendre le temps à un vieux clou. Le violon s'enroule en courtes phrases courbes autour du vaisseau spatial lancé dans les espaces infinis...

Meph. - Quelle imagination ! Je souscris, toutefois. N'oublie quand même pas tous ses petits bruits qui installent notre navire dans un concret habité. Ce qui est beau, c'est cette union intime d'un lyrisme abstrait, si l'on peut dire, et d'un chant des objets qui nous permet d'installer cette musique dans un quotidien transcendé.

Dio. - Ne te moque plus de moi, vieux rêveur.

Meph. - Tu crois plaisanter, mais c'est en effet une musique d'après la chute, hantée par son avant. Cette musique-là n'est rien d'autre qu'une tentative pour réintroduire le paradis dans les interstices de notre vie. Entends-tu la voix de Jan Kleefstra dans la dernière pièce, la session II, la plus longue ? Je ne comprends pas ces mots - j'aimerais les lire en même temps -, j'entends leur velours, leur incantation ouatée, à donner envie d'apprendre le frison (et non le néerlandais, comme nous l'a fait remarquer un de nos lecteurs - le frison est la langue des îles de la Frise), la voix des anges déchus réclamant la beauté foudroyante, disant la beauté troublante et infinie du monde, et peu importe si ce n'est pas leur sens, c'est ce que j'entends par-delà les mots, sur le matériau musical retenu et frémissant qui s'enfle peu à peu jusqu'à devenir une cathédrale sonore dans laquelle se mêlent les arpèges du piano, les drones, les particules poussiéreuses, les chuchotements, la voix bouleversée, pour que surgisse la musique d'avant, commer nommer cela, ce chaos sonore extraordinaire, je ne sais pas pourquoi je pense à Tabula rasa d'Arvo Pärt, le même mouvement de déconstruction, la déchirante suavité arrachée aux décombres, surgie des gestes musicaux en ombres sur le vide qui n'est pourtant pas vide, saturé d'une anti-matière corpusculaire proprement sidérante.

Dio. - Un des très grands disques sortis en 2011, indéniablement. Ouf ! Mon "classement" de 2011 est encore à venir (bientôt...).

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Paru en avril 2011 chez Mort aux vaches (c'est aussi le nom du label...). Si j'ai bien compris, c'est une édition limitée à 500 exemplaires, encore une, alors que ce disque devrait sortir à dix milliards d'exemplaires !! J'espère me tromper, ô fidèles lecteurs, si bien que vous pourrez encore vous le caler derrière les oreilles, je veux dire vous l'instiller dans le cerveau comme une divine ambroisie. / 3 titres / 56 minutes environ.

Pour aller plus loin

- un blog entièrement consacré à toutes les parutions de Peter Broderick, en anglais.

- en écoute partielle ci-dessous (fausse vidéo) :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mai 2021)

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