musiques contemporaines - electroniques

Publié le 29 Février 2008

Richard Eigner et ses amis : nouveaux territoires électroniques.
Richard Eigner

Né en 1983, l'autrichien Richard Eigner pratique la musique avec ses amis dans les clubs de son pays où il a déjà reçu quelques distinctions dans le domaine des musiques électroniques. Il est aux percussions, aux claviers et aux traitements sonores. Je l'ai connu grâce à la Red Bull Music Academy, ce regroupement annuel dans une ville toujours différente, Melbourne en 2006 et Toronto en 2007, des meilleurs DJs et expérimentateurs musicaux de la planète,  manifestation qui est prolongée en général par un disque ou un CD-Rom. Concrete leaves, une pièce conçue comme une sorte de mille feuilles avec des cuivres sur plusieurs pistes décalées qui reviennent de manière lancinante, avait retenu mon attention sur la compilation 2006. J'ai fini par rentrer en contact avec Richard. Il forme le groupe Ritornell avec son ami Roman Gerold, mais il participe avec d'autres à des manifestations très diverses dans tous les lieux ouverts aux musiques actuelles en Autriche.Avec un troisième comparse, Gerhard Daurer, il propose rien moins qu'un renouvellement passionnant des musiques électroniques et expérimentales ! Il n'a encore enregistré aucun disque, mais en prépare un avec le lancement d'un label intitulé Wald-Entertainment. Sa musique- et celle des ses amis, appartient à la galaxie électronique la plus radicale, souvent très proche des expérimentations de la musique contemporaine, avec une touche jazzy sur certaines compositions, et une évidente affinité avec l'esprit minimaliste. Les meilleurs morceaux sont à mon sens les plus dépouillés,  épures abstraites, quasi conceptuelles, où le jeu très fin des percussions s'inscrit sur des lignes à la fois rigoureuses et mystérieuses : écoutez  Tide and Tickle, exemplaire de cette économie, ou encore l'extraordinaire Untitled, qui fait penser à un jardin japonais par son hiératisme simple et grandiose. Ce dernier morceau évoque d'ailleurs pour moi les Six Japanese Gardens (1993) de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho. Vous trouverez peut-être l'étonnant The Light, au jazz décalé, sensuel et vaguement orientalisant, habité par une voix féminine légèrement rauque et frémissante, tapissé de légers chœurs féminins et de percussions obsédantes.. (en illustration sonore en bas de l'article)
   Tandis que Roman Gerold écrit des pièces pour films, danses ou même jeux vidéo, Richard se livre à des remix, constitue une bibliothèque de sons. Leur collaboration remonte à l'écriture d'une musique de scène pour Urgent Appetite, spectacle de la chorégraphe canadienne Laura Kappel au printemps 2004.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 8 août 2020)

Paru en 2009 seulement chez Karaoke Kalk /11 plages / 42 minutes environ

Pour aller plus loin :

- le site de Richard Eigner

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

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Publié le 31 Janvier 2008

Ingram Marshall/Eve Beglarian/Jah Wobble : les sombres eaux de la Création, et le fantôme de William Blake qui rôde...
    J'avais l'idée d'une proposition autour d'Eve Beglarian depuis le dernier disque de Maya Beiser, Almost Human, qui lui accorde une large place avec les huit mouvements de "I am writing to you from a far off country", longue pièce d'Eve de 2006 associant le violoncelle et le chant à la lecture intégrale du texte de Henri Michaux ("Je vous écris d'un pays lointain" : cf. notamment article du 7 juin 2007). Les matériaux me manquaient jusqu'à ce que je trouve Tell the birds, un disque entièrement consacré à six de ses récentes compositions. La présence d'un titre comme  "Creating the world" et la référence à William Blake dans "The marriage of Heaven and Hell" ont attiré autour de ce noyau un extrait de Dark waters d'Ingram Marshall et des œuvres de Jah Wobble inspirées du peintre et poète anglais.
   Pour commencer, la musique d'Ingram Marshall, penchée sur les origines mystérieuses du monde. Le compositeur américain, qui a commencé sa carrière par des collages électroniques élaborés, fascinants, est une figure à part, difficile à rattacher à un quelconque courant. Il s'inscrit en fait dans une tradition américaine profondément métaphysique : de la contemplation des grands espaces surgit une musique qui ne cesse de célébrer la magnificence de la Création en même temps que son impénétrable mystère. Depuis plus de dix ans , il associe textures électroniques travaillées par des échos, des filtres,des retards, des boucles et des variations de vitesse avec des instruments acoustiques, solistes ou en plus grande formation. Dans le titre éponyme Dark waters, un cor anglais plane sur les eaux primordiales. Ecoutez-le grâce à cette vidéo, collage à la fois visuel et musical, dans laquelle on entend le début de l'oeuvre (mixée avec d'autres).
   Dark waters ne manquera pas d'évoquer la musique de Tangerine Dream à ses débuts. Ingram Marshall reprend une de ses anciennes compositions, Sibelius in his radio corner, et rend à nouveau hommage au musicien finlandais auteur du Cygne de Tuonela, pièce inspirée par ce cygne légendaire qui glisse au-dessus des sombres eaux séparant le mondes des vivants de celui des morts. Ici, c'est le cor anglais, avec son velouté langoureux, qui incarne le cygne, tandis que la bande enregistrée pose le paysage grandiose, agité de convulsions lentes, parfois troubles, inquiétantes et attirantes à la fois.    
Ingram Marshall/Eve Beglarian/Jah Wobble : les sombres eaux de la Création, et le fantôme de William Blake qui rôde...

   Née en 1958, Eve Beglarian travaille beaucoup pour des chorégraphes, des performances, répond à des commandes d'ensembles comme le Bang on a Can All-Stars, élaborant une oeuvre elle aussi atypique, résolument loin de tout dogme, de toute école. Elle pratique le collage, utilise l'électronique, et dans le même temps fait appel à des musiciens, des comédiens et des lecteurs lorsqu'elle met en musique des textes poétiques, un des aspects passionnants de son itinéraire.Creating the world, l'un des titres de cet album qui rassemble six créations comprises entre 1994 et 2004, part d'un poème de Czeslaw Milosz, écrivain polonais naturalisé américain à la fin de sa vie, Prix Nobel de littérature en 1980. Le comédien Roger Rees dit le texte tantôt avec une fougue joyeuse, tantôt avec un détachement sarcastique, voire théâtralement comique, en parfaite adéquation avec la verve héroï-comique de ce poème cosmogonique, sur fond d'un immense collage d'échantillons de Mozart, de mélopée orientale, de chant médiéval, de rock, tous d'ailleurs motivés par le poème lui-même, échantillons enveloppés par le travail de l'Ensemble électro-acoustique de Paul Dresher. Une Création haute en couleurs, bigarrée et jubilatoire, ce qui n'exclut pas quelques superbes échappées rêveuses. Robin redbreast, composition plus courte de 2003 sur un poème de Stanley Kunitz, poète américain mort en 2006 à l'âge de cent ans, un des fondateurs de la maison des Poètes de New-York, propose un univers très différent. Le texte est dit-chanté, murmuré, devient mélopée parfois discordante et brisée, sur un bourdon de claviers, tandis que la flute piccolo gazouille pour évoquer cet étrange oiseau échappé peut-être du paradis : "C'était l'oiseau le plus lugubre/ qu'on eût jamais vu, nettoyé/ de toute sa couleur, comme s'il/ s'était tenu sous la pluie/ seul et raide et refroidi/ depuis que l'Eden allait mal." Wonder Counselor, pièce de 1996, est une plongée dans les eaux fraîches de l'Eden : des variations extatiques à l'orgue sur un Graduel du XIIIè siècle, "Res est admirabilis", encadrées par des sons naturels d'oiseaux,  d'eaux agitées et de halètements amoureux. Eve Beglarian donne aux propos d'Isaïe, au chapitre 9, verset 5, "et on lui a donné ce nom, Conseiller-merveilleux, Dieu-fort" leur sens non édulcoré en s'appuyant sur un autre passage de la Bible, au chapitre 30, versets 18 et 19 du livre des Proverbes : "Il est trois choses qui sont trop merveilleuses pour moi ; et quatre que je ne comprends pas : le chemin de l'aigle dans les cieux, le chemin du serpent sur le rocher, le chemin du navire au milieu de la mer, et le chemin de l'homme dans la femme." A sa manière, on aura compris que ce disque est un livre des merveilles, dont je n'ai évoqué que la moitié je vous le rappelle.

Ingram Marshall/Eve Beglarian/Jah Wobble : les sombres eaux de la Création, et le fantôme de William Blake qui rôde...

   Bassiste de Public Image Limited de 1978 à 1980, Jah Wobble, né en 1958 comme Eve Beglarian, a poursuivi depuis une carrière solo d'un éclectisme incroyable, collaborant avec des chanteuses orientales, avec Brian Eno, Bill Laswell, se lançant dans des projets improbables comme ce disque inspiré par la peinture et la poésie de son compatriote William Blake. Accompagné de Jackie Liebezeit (du groupe allemand Can) aux percussions, de Mark Ferda aux atmosphères (claviers et autres synthétiseurs...), de Justin Adams à la guitare et de Clive Bell à divers instruments traditionnels, il propose un voyage convaincant et vraiment inspiré dans les poèmes flamboyants de William Blake, dont les textes sont fournis dans le livret, très bien édité. Au début de "Auguries of Innocence", on retrouve notre Robin Red breast (rouge-gorge) évoqué par Stanley Kunitz, qui s'est peut-être souvenu de Blake :
To see a World in a Grain of Sand
And a Heaven in a Wild flower,
Hold Infinity in the palm of your hand
And Eternity in an hour.

A Robin Red breast in a Cage
Puts all Heaven in a Rage

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Pour aller plus loin
Site d'Eve Beglarian, très riche, avec des morceaux à écouter et des MP3 à télécharger, ici.
Un site bilingue consacré à William Blake.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 4 août 2020)

Illustrations de la pochette de "Dark Waters"

Illustrations de la pochette de "Dark Waters"

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Publié le 20 Octobre 2007

     Déçu par les nouveautés (celles que j'ai pu écouter, précisons, il a pu m'échapper des trésors, hélas !)du côté de la pop-rock au sens très large, je reviens à la musique contemporaine avec un programme qui associe Slow six,  dont l'album Nor'easter est décidément pour moi un chef d'œuvre étincelant, le pianiste néerlandais Jeroen van Veen , et le pianiste et compositeur belge - employons le terme tant qu'il a encore un sens, Jean-Luc Fafchamps.

Improvisation sur Distant light                            
distant light tant de light
tu me dis je me tends de lumière
léger de lumière vêtu je vais
dans la distance tremblée je je je
me dissous dessous tant de
temps transparent allumé
de lumière dans la baignoire rougie
du crépuscule tu me dis distant
je suis la distante light tendre light

léger écho d'ego terme échu
la tombée des sons déchus déchire
ma trame c'est mon drame léger
distant light aurore cathédrale                            

de rayons tente engloutie tant de
temps reconquis sur les chemins comme
des filles chromatiquement belles
ouvertes sur la nuit divine la

distant light glissante de violons
doux martelé piano de feutre et
de mystère lacté tu m'as trouvé

ivre gisant chrysalide à peine
sous la pluie des couleurs comme
une dédicace fragile m’as-tu dit
tombant ensemble dans le vortex
des limbes lumière light tant de

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Jeroen van Veen
Jeroen van Veen au piano
Jeroen van Veen au piano : cet instrumentiste-arrangeur-compositeur a plus de 40 CDs à son actif, avec un autre coffret de 11 disques consacrés aux œuvres pour pianos multiples de son compatriote Simeon ten Holt. Son éclectisme joyeux a de quoi séduire Inactuelles et tous les amateurs de diversité musicale. Dans le coffret "Minimal Piano Collection" présenté la semaine dernière, les disques VI et VII présentent ses propres compositions, vingt-quatre préludes minimalistes à la manière de Bach, manière de clouer le bec à ceux qui méprisent les "facilités" du minimalisme. La démonstration est impeccable, fait éclater l'évidente beauté, la force sereine de ces mélodies aux réfractions répétées, qui jouent du martèlement, des échos, décalages et glissements, boucles et hiatus, silences et stases, grappes accélérées et vrilles. La musique alors est invasion, marée montante et possession, et c'est tout l'être qui vibre dans l'oubli du monde grossier des apparences, transporté au cœur de l'ineffable, dans la matrice mystérieuse des harmoniques sensibles.

 

 

Slow Six / Jeroen van Veen  / Hommage à Jean-Luc Fafchamps (1)
   L'oubli momentané de l'actualité accaparante me permet de commencer à rendre hommage à Jean-Luc Fafchamps, pianiste et compositeur belge que j'avais découvert à travers son interprétation de "Triadic memories" de Morton Feldman - auquel il faudra bien que l'émission revienne....Attrition, sorti en 1993 chez Sub Rosa, est le premier disque consacré à ses propres œuvres. Le quatuor pour deux pianos, interprété par le Bureau des pianistes dont il fait lui-même partie, est une pièce en cinq mouvements à l'abord très abrupt : notes plaquées, isolées, dans les graves, au début ; atonalité, intervalles asymétriques, brisures, pas de fluidité, ni de vraie mélodie, chevauchements et rencontres entre les interprètes dans une configuration variable sur les deux pianos. Nous voici a priori loin du minimalisme, dans des paysages abstraits, âpres, qui offrent toutefois soudain des perspectives incroyables et qui réservent des moments d'une grâce d'autant plus émouvante que rien ne la laissait prévoir. A cet égard, la fin est magnifique, reprise du début surgissant de reliefs arides comme une oasis de consonance et d'harmonies retenues, à la fois debussyste dans sa grâce mystérieuse et très minimaliste dans le discret martèlement des motifs : le jeu dans les cordes de deux des trois pianistes lui confère de surcroît un charme désolé. [début de la fausse vidéo ci-dessous très lent ]
(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Émission du 14/10/07)

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Publié le 5 Octobre 2007

Slow Six : Splendeur sereine du post-minimalisme électro-acoustique.
  Créé en 2000, le groupe Slow six, basé à Brooklyn, s'est beaucoup produit à New-York et a sorti un premier disque remarqué en 2004. Nor'easter, qui vient de sortir sur le label californien New Albion Records, est à l'évidence l'un des chefs d'oeuvre de cette année. Mené par son fondateur Christopher Tignor, compositeur, violoniste et concepteur du matériel informatique d'accompagnement, épaulé par Stephen Griesgraber à la guitare électrique et compositeur sur l'un des titres, le groupe constitue un véritable ensemble de chambre électro-acoustique qui comporte alto, violoncelle, une seconde guitare électrique sur quatre des six morceaux, grand piano, fender rhodes et deux autres violons en renfort. On le voit, cette alliance d'instruments de musique de chambre, amplifiés, retravaillés et de plus pour certains provenant du rock au sens large, prévient déjà tout étiquetage un peu hâtif. Bien sûr, la scène new-yorkaise offre l'exemple du Bang on a can all stars, ensemble dédié à toutes les musiques inventives d'aujourd'hui. Slow six s'inscrit dans cette mouvance passionnante. Les compositions sont d'inspiration minimaliste, très aérées, jouent du déploiement des sons dans l'espace par des échos discrets, des réverbérations ou des silences, ce qui donne à chacune d'elle une allure fragile et sensuelle à la fois. On peut penser à l'esthétique de la musique japonaise aussi bien qu'au sublime "Light over water" de John Adams. Si le premier titre contient le mot "pulse", une des clés de la musique de Steve Reich, on est souvent assez loin du maître, car l'utilisation de boucles reste ponctuelle et se distingue de toute façon de la composition par "motifs" qui lui est chère et de son dynamisme puissant. C'est une musique volontiers rêveuse, attentive à ses propres développements, au mystère de son évolution capricieuse. Des cadences de frémissements , des battements d'ailes ou d'élytres dorés, la venue d'inconnus qui marchent à pas feutrés dans les avenues baignées par une lumière vibrante, vaporeuse. Soudain, des courbes qui s'enfuient, des glissements furtifs qui s'accentuent avant de se fondre dans la pénombre qu'on sent vivante. Merveilleuse musique où l'on se baigne parmi les grâces tournoyantes d'un ciel traversé d'éclairs calmes, parmi "les nouvelles couleurs (qui) tombent comme la pluie", pour reprendre le sous-titre de la seconde partie de "distant light", parmi le chromatisme suave des subtils dérapages mélodiques qui peuvent aussi évoquer certaines oeuvres de Lois.V. Vierk, compositrice américaine marquée par son étude  du Gagaku, la musique de la cour impériale japonaise. Cette pure splendeur suspend le temps dans ses méandres, ses étirements méditatifs ou ses brisures délicieuses!
Slow Six
Slow Six

Les voici dans un jeu de reflets bien à l'image de leur musique. Le programme de ce dimanche 30 les associe avec Naïal, présenté la semaine dernière, et avec Duane Pitre et son Pilotram Ensemble, évoqués la semaine d'avant.

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Émission du 30/09/07) 

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Publié le 29 Juin 2007

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Proposition du 24 juin 2007 )

    S'affranchir du temps est un rêve ancestral que tentent de réaliser les musiciens réunis pour cette émission. Ils y travaillent par deux voies en apparence inconciliables. Les premiers sculptent des masses sonores en grande partie d'origine électronique, lourdes nappes qui apparaissent et disparaissent dans un halo de silence, traversées de traînées instrumentales acoustiques en surimpression parfois à peine décelable. Privées de tout élément percussif, les compositions semblent alors pouvoir s'étirer à l'infini dans une temporalité distendue à l'extrême. Le second cherche le son d'Or tel un mystique illuminé en jouant obstinément une ou plusieurs notes, en martelant ses deux pianos pour créer une pâte sonore en vibration : l'alternance de ralentis et d'accélérations,- ces dernières étant les plus longues, happe l'auditeur dans un tourbillon frénétique qui semble condenser le temps, le réduire au seul présent de la note frappée fondue dans l'écho des harmoniques des précédentes. Il n'y a plus vraiment de passé ni de futur, mais ce moment d'intensité, ce climax dans lequel on voudrait s'engouffrer comme dans une trouée de lumière fulgurante.
  
Stars of the Lid - And Their Refinement of the Decline
Stars of the Lid : double cd, deux heures de musique !
Adam Wiltzis et Brian Mcbride, duo américain connu pour avoir exploré les drones de guitare sur de précédents albums, reviennent après six ans d'absence avec un double cd, presque deux heures de musique, offrant au label Kranky, label spécialisé dans la musique ambiante, les musiques électroniques, expérimentales d'aujourd'hui, un centième numéro exceptionnel. L'ensemble est grandiose, majestueux : les lentes incantations au grain velouté se déploient en vagues frémissantes, tournoyantes, enrichies de violoncelles( jusqu'à trois), de cors, de trompettes, de clarinette. Le temps est un luxe que nos deux compositeurs nous invitent à déguster dans la pénombre, confortablement installés, oublieux de toutes les obligations qui nous harcèlent : les nuages tournent sur fond crépusculaire, découvrent soudain des échappées iridescentes. La mer vient mourir sur les rivages apaisés d'un ailleurs qui nous attend. Tout le raffinement du déclin dans l'or profond des soirs d'orage.
 
Hakobune - A Sense of Place
Hakobune - A Sense of Place
Une série limitée à 155 exemplaires pour ce musicien japonais, Takahiro Yorifuji, qui, sous le nom de Hakobune, propose des paysages issus de drones de guitare auxquels s'ajoutent quelques effets. Un cdr malheureusement injouable sur votre ordinateur : seule une chaîne lui convient, ou en core un bon lecteur de cd auto.
  Je ne présente pas à nouveau Tim Hecker (cf. article ici), qui clôt la première série, celle des expansions électroniques.
  

Peintre, sculpteur, compositeur et par dessus-tout extraordinaire "performeur", Charlemagne Palestine est le second que

Charlemagne Palestine - A sweet Quasimodo between Black Vampire
Charlemagne Palestine : prendre le temps d'entrer dans son univers !

j'évoquais au début de cet article. Né en  1947,  marqué, enfant, par sa participation à la chorale d'une synagogue de Brooklyn, par sa rencontre ensuite avec la musique concrète de Pierre Henry, - qui conforte son goût pour les sons des moteurs ou d'autres objets quotidiens, avec les expériences électroniques d'un Varèse, il pratique les collages sonores, écoute les sons avec attention dans une orientation spirituelle, plongeant au cœur des harmoniques, des échos, interrogeant avec obstination les bourdons, les drones pour plonger l'auditeur dans un univers en vibration et le mettre ainsi dans un état d'extase, d'extériorité absolue à lui-même, le moi comme dissous, aboli. Cette orientation n'est pas sans rappeler celle de La Monte Young dans son pays, ou celle d'un Giacinto Scelsi en Italie. L'abandon de toute virtuosité, voire de toute mélodie, le marginalise pendant un temps, d'autant que le succès du minimalisme sous sa forme répétitive le déçoit. Après avoir utilisé oscillateurs électroniques et synthétiseurs, il revient aux sonorités acoustiques, sans doute influencé par son expérience de carillonneur pendant six ans dans une église new-yorkaise. Il joue alors de l'orgue d'église, du piano. Il chante parfois aussi, initié au chant drupad de l'Inde par le grand Prandit Pran Nath, auprès de qui Terry Riley et La Monte Young ont d'ailleurs étudié. Ce dernier enregistrement permet de l'entendre en public, jouant simultanément sur deux pianos Yamaha : la pratique du "strumming", ce martèlement d'une note ou d'un très court motif, alterne avec des moments d'apaisement. Après une courte introduction, une pièce de trente-six minutes seulement, ce qui est peu pour Palestine, dont les concerts durent souvent des heures, voire des nuits entières. C'est assez pour découvrir l'un des créateurs les plus singuliers d'aujourd'hui, dont l'enthousiasme est intact après tant d'année, et dont l'influence ne cesse de grandir.
Les DISQUES

And their refinement of the decline de Stars of the Lid est paru en 2007 chez Kranky

Harmony in Ultraviolet de Tim Hecker est paru en 2007 chez Kranky

Sense of place de Hakobune est paru en 2007 chez U-Cover

a sweet quasimodo between black vampire butterflies de Charlemagne Palestine est paru en 2007 chez Cold Blue Music

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Rédigé par dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

Publié le 14 Juin 2007

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Proposition du 10/06/07)  
   
An On Bast - Welcome Scissors

  Déjà présente dans la proposition du 13 mai de cette année (voir article), la polonaise Anna Suda (An on Bast, c'est elle) reçoit enfin ici la place qu'elle mérite. Welcome scissors, son premier album paru en mai 2006, révèle une compositrice majeure de la mouvance électronique, qui n'a rien à envier à Aphex Twin ou Tim Hecker. Sa pratique du piano et du chant choral depuis des années nourrit son approche du matériau électronique. Elle produit ses propres échantillons à partir d'échantillonneurs, synthétizeurs analogiques et machines à rythmes pour créer une texture synthétique fluide, harmonique, hantée de murmures, fragments de conversation, scratches, bruits divers, entre downtempo et musique abstraite. Chaque titre suit une idée sonore avec une rigueur qui n'exclut pas un lyrisme ample, comme en témoigne notamment le titre 6, un De Profundis résultant d'un collage audacieux entre fragments d'une œuvre chorale de Liszt, piano, scratches puissants et cloches : stupéfiante beauté qui transcende les oppositions entre musique romantique et musique électronique. Lors des premières écoutes, j'avais pensé à Arvo Pärt ou à Penderecki, mais Anna m'a très gentiment signalé l'origine de l'emprunt. Toute la fin de l'album est magnifique comme les fins de Radio Head ou de The Eraser, le dernier album de Thom Yorke. Nappes d'orgue déchirées de rayures, trouées de voix inconnues, rythmées de beats lancinants, tissent aux confins de l'humain une toile subtile, lumineuse. Welcome scissors ! Anna a produit un second album, Happy-Go-Lucky, en septembre 2006 : je suis sur sa piste...Elle en annonce un troisième pour l'automne : il aura pour titre "Words are dead" et incluera le superbe "Just blast", présent sur la compilation de la Red Bull Academy Music.

An on Bast/ Robert le Magnifique/ Maya Beiser :  Variations sur l'(in)humain

   Robert le Magnifique, pseudonyme d'un musicien breton, bassiste manieur de platines et de machines rytnmiques, producteur, et le duo Abstrackt Keal Agram (Tepr et My dog is gay) signent la musique de la célèbre pièce de Shakespeare mise en scène par David Gauchard. Si le titre 5, "Claudius et Gertrude", au jazz très conventionnel, ne m'enthousiasme guère, le reste de l'album tient souvent la gageure, grâce à la participation du quatuor Debussy (titre 3), du rappeur Arm, et de quelques autres. Lire l' article consacré à la conception de cette version de la pièce.
Hamlet, thème et variations est paru en 2007 chez Idwet

Le dernier volet de ces variations sur l'(in)humain est fourni par la fin de la pièce d' Eve Beglarian sur le texte d'Henri Michaux, "Je vous écris d'un pays lointain" (voir article précédent), beau contrepoint aux délicates compositions synthétiques, infra-humaines et troublantes, de An on Bast.
Eve Beglarian Extraits de Almost Human ( Koch international classics, 2006), disque de Maya Beiser, qui vient de me signaler la disparition prématurée d'Alexandra Montano dont le chant accompagnait son violoncelle. Mezzo-soprano, Alexandra faisait partie du Philip Glass Ensemble, interprétait aussi bien de la musique médiévale que le répertoire français (Ravel, Debussy, Fauré). Avant Amost Human, on peut l'entendre sur
The Witches of Venice de Philip Glass, sorti à la fin de 2006.
 

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Publié le 1 Juin 2007

Tim Hecker/ Ingram Marshall : Visions électroniques
(Nouvelle mise en page + illustration sonore / Programme du 27/05/07, deuxième partie)
   Quatrième opus de Tim Hecker, canadien originaire de Vancouver, dorénavant installé à Montréal, Harmony in ultraviolet est une expérience de plongée dans un univers abyssal, où bruits, dissonances, drones (notes basses tenues créant des résonances) et mélodies s'enchevêtrent pour tisser des nappes sonores sombres, oniriques, un étrange concert de voix englouties, disparues, à l'image de la pochette. On pourrait songer aux premiers albums de Tangerine Dream, avant qu'ils ne servent la soupe planante, Zeit ou Atem, ces joyaux toujours sidérants. Il faut imaginer cette musique sous les voûtes embrumées d'une cathédrale inexistante, baignée par les eaux glauques du Léthé.

 

 

 

 

 

Tim Hecker/ Ingram Marshall : Visions électroniques
   Paru en 1990, cet album du compositeur américain Ingram Marshall, l'un des pionniers de la musique électronique (et l'une des grandes références de l'émission), n'a rien perdu de son élégiaque et intemporelle beauté. Three penitential visions, à l'origine une oeuvre radiophonique, est en partie le fruit d' une collaboration avec le photographe américano-norvégien Jim Bengston, fasciné par l'ancien monastère cistercien désaffecté de Eberbach, en Allemagne. Les deux premières parties de ces "visions pénitentielles" utilisent presque uniquement la technique des boucles enregistrées sur multi-pistes à partir du saxophone interprété par le photographe lui-même dans l'église abbatiale du monastère, sans électronique. La troisième partie, "Fugitive vision", recourt par contre à des claviers qui associent piano acoustique et synthétiseur analogique. Comme toujours chez Marshall, aucune rupture entre les deux : l'électronique n'est pas une fin en soi, elle se fond dans le matériau acoustique qu'elle magnifie. Le prolongement naturel de cet opus, qui contient aussi les bouleversantes "Hidden voices", est l'album Alcatraz, qui tente de faire ressurgir l'atmosphère de la célèbre prison insulaire californienne, avec des photographies du même artiste.
Tim Hecker : Stags, aircraft, kings & secretaries (piste 2, 4' 31)
                         Palimpsest (p.3, 0' 36)
                         Chimeras (p.4, 3' 13)
                         Dungeoneering (p.5, 5' 25), extraits de Harmony in ultraviolet(Kranky, fin 2006)
Ingram Marshall : Eberbach II (p.2, 5' 44)
                             Fugitive vision (p.3, 8' 45), extraits de Three penitential visions/Hidden voices(Elektra Nonesuch, 1990)

Photographie de l'abbaye d'Eberbach par Jim Bengston.

Tim Hecker/ Ingram Marshall : Visions électroniques

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