Steffen Schleiermacher - British !

Publié le 21 Mai 2013

Steffen Schleiermacher - British !

  

Né en 1960, ce pianiste et compositeur formé à l'Académie de musique Felix Mendelssohn Bartholdy de Leipzig est évidemment à sa place dans ces colonnes. Son abondante production discographique ne comporte-t-elle pas des intégrales ou quasi intégrales de compositeurs comme Morton Feldman, John Cage, Erik Satie, des incursions significatives dans les œuvres de Philip Glass, Terry Riley et bien d'autres figures importantes de la musique d'aujourd'hui ? Steffen Schleiermacher est donc un fouineur, un défricheur comme je les aime, grâce auquel on fait de belles découvertes...que je tente de vous faire partager. Il dirige aussi l'Ensemble Avant-Garde, formation à géométrie variable tournée vers la musique de chambre du XXe siècle et de notre temps.  

   Parmi sa discographie antérieure, à signaler son interprétation des "Keyboard studies 1 & 2" de Terry Riley, accompagnées d'une composition personnelle superbe, "Hommage à RILEY - REICHlich verGLASS" (je respecte la typographie du titre - ce qui va bientôt tenir de la prouesse si les éditeurs de texte sur Internet continuent de s'appauvrir...). Je place la couverture et les références en bas de l'article.

    Venons-en à British ! . Nous sommes avertis : le pianiste allemand avoue son ignorance au sujet de la Grande-Bretagne et des Anglais. Il signale aussi le rôle relativement mineur que l'on accorde assez généralement aux compositeurs britanniques dans les musiques nouvelles. Mais il a été fasciné par le refus radical de certains compositeurs britanniques à l'égard de la virtuosité, d'un art de la composition "traditionnel" et par les partitions d'Howard Skempton, Richard Emsley ou Laurence Crane, devant lesquelles sa première réaction fut : « Mais ce n'est pas comme cela qu'on compose ! » D'où ce disque !!

   Il s'ouvre et se conclut avec deux cycles de Richard Emsley intitulés "for piano 1" et "for piano 12", eux-mêmes émiettés en 8 et 7 très courtes pièces. La musique se réduit la plupart du temps à une seule voix à l'allure capricieuse, énigmatique. Série d'éclats égrenés à un rythme variable comme autant d'aphorismes sur le silence. On ne sait où l'on va, on va dans une atmosphère raréfiée tapissée par l'action de la pédale, suspendus à ces petites escalades sonores, à ces montées successives vers la lumière. Chaque pièce est une méditation, un moment pur, décanté, une invitation à participer au mystère du son se propageant dans la salle (le label MDG privilégie l'acoustique naturelle). Parmi les indications de "for piano 1", on lit par exemple "dolcissimo molto espressivo", "un poco nobilmente", "misty and dreamy, like a nursery rhyme", mais aussi "senza espressione sempre". Sept numéros seulement pour "for piano 12", plus proche peut-être encore de l'esthétique d'un Morton Feldman. Une découverte majeure, que je dois d'ailleurs à un "ami" d'un réseau social qui avait placé une vidéo avec un extrait de ce compositeur né en 1951, encore peu représenté sur disque. Je n'ai pas trouvé l'intégrale de ces "for piano"...Mais j'ai retrouvé avec grand plaisir Steffen...toujours sur la brèche !

   "Notti Stellate a Vagli" - une composition nettement plus longue, pas loin de vingt minutes - d'Howard Skempton fut écrite comme un « complément aux Triadic Memories de Feldman », un complément libre, sans emprunt ou citation. Un hommage où l'on retrouve ce rapport au temps qui fascine tous les admirateurs du grand américain : un temps reconstruit par des motifs ressurgissant à l'improviste alors que l'on est parti très loin dans un no man's land sans repère, lâchés en plein vide, avec pour seul appui la dernière note comme à l'extrémité du monde, de tout. C'est toujours une expérience des limites, du dépouillement, et c'est toujours magique, unique : triomphe absolu du son, seul survivant si l'on peut dire. Un autre très grand moment. Quatre pièces plus courtes d'Howard Skempton figurent plus loin, toutes dédiées à Michael Finissy, presque mélodiques, rêveuses et doucement mélancoliques. 

  Michael Finisssy est plus connu pour des œuvres démesurées, virtuoses. Le pianiste nous propose deux curieux tangos dédicacés respectivement à Howard Skempton et Laurence Crane, le quatrième compositeur présent sur ce disque. Deux tangos disloqués, des souvenirs de tango, si l'on veut, extraits de Twenty-free tangos, une collection qui évoque en modèle réduit la formidable collection de tangos (127 commandés à 127 compositeurs) rassemblée par le pianiste Yvar Mikhashoff, à ma connaissance hélas jamais intégralement publiée. Par ailleurs, la "Sonata for (toy) piano", si elle est une tentative en soi intéressante, ne me réjouit guère les oreilles. Passons.

   Restent deux petites pièces de Laurence Crane : un bouleversant "Chorale" dédié à Howard Skempton, d'une humble simplicité, une pièce d'anniversaire pour Michael Finissy, tout aussi émouvante dans sa marche retenue, comme sur le fil fragile de la vie qu'il ne faut surtout pas malmener, mais dont il convient de faire résonner chaque pas.

    Un très, très beau programme joué sur un magnifique Grand piano Steinway de concert datant de 1901.

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Paru en 2011 chez MDG Scene / 26 titres / 65 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site personnel de Steffen Schleiermacher

- "for piano 2" (1997 - 1999) par le pianiste Ian Pace :

  Le disque dont je parlais plus haut...

 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 8 juin 2021)

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