Various Artists - Epiphanies

Publié le 9 Septembre 2022

Various Artists - Epiphanies

   Une fois de temps en temps, une compilation... Pourquoi pas ? Celle-ci est publiée par le label suisse (de Lucerne)  Hallow Ground, dont j'aime beaucoup le slogan d'intention : « Pour la Musique et l'Art qui mène aux visions » (For Music and Art that leads to visions). Beaucoup de monde sur ce disque très généreux. Des musiciens liés aux musiques électroniques, déjà connus sur d'autres labels comme Room40 représenté par Lawrence English ou Siavash Amini.

   Ce sont musiques de plénitude, gorgées de surprises sonores : électroniques, électro-acoustiques, drones, qui tentent d'approcher par le son le phénomène de l'épiphanie, manifestation d'une réalité cachée nous dit le dictionnaire. Aussi nombre de musiciens brouillent-ils les frontières entre acoustique et électronique, travaillent-ils les textures pour les densifier, suggérer une présence, un mystère au creux des sons.

   Impressionnant début avec "Baldaquin", du propriétaire du label Remo Seeland : un mur de drones se met peu à peu à laisser entendre d'autres couches sonores et à tintinnabuler sur la fin. "Peri-Acoustic-Feedbacks" de A. Frei est un titre étrange à base de raclements percussifs, de sons de cloches, de poussées de drones : un des joyaux de cette compilation ! Maria Horn signe un autre grand moment avec "Oinones Death pt 1", flûte à bec contrebasse et verre frotté : lamento somptueux !

   Dans le sillage de Maria Horn, le troublant "Withinside" de Atmosphere déroule des boucles d'orgue ou de synthétiseur, on ne sait plus très bien, émaillées de crépitements réguliers. C'est également superbe. "Kumo" de FujiIIIIIIIIIta combine les sons d'un orgue construit par ses soins avec un shō, orgue à bouche chinois, pour une pièce post-minimaliste tout en stries sonores... Lawrence English déchaîne les démons dans "Outside the City of God" en jouant des aigus tenus de son orgue avant de les recouvrir par un fond de drones et de draperies délicates. La toile électronique ondoyante de Samuel Savenberg dans "The Endless Present" se craquèle finement pour laisser le passage à d'étranges voix déformées accompagnées de quelques notes éparses. Siavash Amini, dans "Spuming Silver" fond des instruments à cordes dans des textures électroniques miroitantes pour créer une musique ambiante fascinante, lentement fastueuse.

  

   Nous n'en sommes qu'à la huitième piste... Et après ? C'est toujours aussi bon ! Magda Drozd signe avec "Suspended Dreams" une pièce mystérieuse pleine de grésillements, de lourdes et lentes percussions, une sorte de cérémonie exténuée s'enlisant dans les bruits. "Exerpt from Piano Study" d'Akira Sileas nous plonge à l'intérieur d'un instrument qui n'est pas un orgue, véritable moteur de drones ronflants, avec à l'arrière-plan de curieux craquements, les bribes d'une mélodie peut-être, une corde qui grince, comme les traces d'un occupant inconnu. Laurin Huber, sur "Puolipilvistä (Partly Cloudy)", suggère aussi une présence par des bruits divers d'objets familiers et de miaulements, bruits transcendés par des écoulements d'eaux et un flux mélodique de sons tenus. La juxtaposition de cette musique concrète avec la toile ambiante minimale est très belle, émouvante. On revient vers une pure musique ambiante avec "For Alice" de Norman Westberg : accords gras de guitares sur un fond lourd de bourdons. Fascinante abstraction minimale avec "Alternatio - Alternatio" de Miki Yui : ondes sinueuses, gouttes amplifiées sur une texture mouvante.

   Le pianiste et compositeur Reinier van Houdt, interprète notamment de Dead Beats d'Alvin Curran, et dont j'ai chroniqué récemment le magistral double album drift nowhere past / the adventure of sleep, donne avec "Dream tract" sans doute le plus beau titre de cette riche compilation : une somptueuse rêverie électro-acoustique à la fine granulation ponctuée de frappes percussives sourdes, de clapotements et d'indices de présence, avec, dans la seconde moitié, une montée onirique extraordinaire de sons brouillés et de vagues synthétiques à l'arrière-plan. Valentina Margaretti utilise les percussions pour un étrange ballet d'invisibles : frottements, roulements sourds, frappes discrètes, créent une atmosphère surnaturelle. Quant à Martina Lussi, son "Losing Ground", dernier titre de l'album, est un tapis mouvant de froissements sur un fond immobile d'orgue, dont surgit peu à peu un fragment mélodique en boucles serrées, envahi à la fin par des voix synthétiques. Aussi une des très belles Épiphanies de cette étonnante compilation d'un label si bien nommé, Sol Sacré (Hallow Ground) !

Loin d'être un fourre-tout, cette remarquable compilation rassemble des expérimentations sonores qui ne cessent de nous surprendre, nous envoûter en suggérant un ailleurs déjà là entre les plis !

Paru en novembre 2021 chez Hallow Ground   /  16 plages / 1 heure 18 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

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