Sylvain Fesson (2) - Rendu à l'état naturel : je ne peux que peau être

Publié le 2 Février 2024

Sylvain Fesson (2) - Rendu à l'état naturel : je ne peux que peau être
Sylvain Fesson (2) - Rendu à l'état naturel : je ne peux que peau être
Quand d'un coup 
Quelque chose prend

 

    En avril 2020, j'ai consacré un premier article à Sylvain Fesson. Depuis 2015, il avait déjà sorti quelques titres sur plusieurs courts albums, entre trois et six titres, et réalisait des clips pour ses chansons. Se dessinait peu à peu un univers personnel dont Sonique-moi, en avril 2021, son premier album long, donne la mesure, rassemblant douze titres réalisés au long des années avec Arthur Devreux (composition et arrangements), lui-même chantant ses propres textes. De la pop si l'on veut, parfois rock, électrique, parfois plus dépouillée, toujours éclairée par sa belle voix légère, délicate, alors j'y reviens, en essayant de ne pas me répéter.

 

   Du lyrisme haletant et grandiose de "Sonique-moi", on passe naturellement au lyrisme plus intime, touchant, de "Le Cœur du monde" : « Qui donne au monde cette intime vibration / Cet élan qui abonde mon corps / Et que mon âme cherche tant ? » Naturellement, car voilà quelqu'un qui ose encore parler d'âme, qui fait chanter les mots seulement en les disant, les murmurant, les caressant. Les mises en musique lumineuses d'Arthur Devreux, entre flamboiements et soulignements attentifs et délicats, respectent les paroles, toujours nettement audibles, jamais recouvertes, ce qui permet à l'auditeur de suivre le cours d'une inspiration qui est comme la respiration même d'un être sur le fil, un funambule de la vie, « l'amour dans l'âme » :

 

« Il est fini le film

Qui durant deux heures

M'a tenu au chaud et offert son cœur

 

Je marche le soir

Seul, le vent dans le visage

Regarde le ciel, l'immeuble et l'arbre

 

Quand d'un coup

Quelque chose prend

Part, alors la nuit est grande

Belle et noire tout autour »

   [ Début de "La Chance de vivre" ]

 

     Pas étonnant que dans "La Vie m'allait bien", Sylvain Fesson se souvienne de la chanson de Tim Buckley, "Song to the Siren", et plus loin de l'album de Nick Cave The Boatman's Call : « Sous le coup d'une perte terrible », il chante lui aussi avec pudeur le vide d'un déchirement sentimental évoqué non sans humour. Deux guitares suffisent pour accompagner des moments de grâce que l'on n'a pas su saisir, retenir, « Toute cette magie en l'air / (...) / Et ressentir l'envergure / De tout l'inaccessible ». De chanson en chanson s'égrènent « Les secrets de (s)on âme » ("Aux étoiles"). Sur "Violaine", Sylvain Fesson s'abandonne à un véritable chant, diaphane. Un amour perdu le ramène à ses ressources intérieures :

« Rendu à l'état naturel

Du sourire de mes rêves

Je veux vivre de mes propres ailes

Faire un enfant de moi-même »

 

    Chez lui, l'amour appelle la poésie, « je sens qu'un poème veut ma tête », et c'est le bonheur « d'embrasser lyre et elle » ("La Forêt"), on « Cuisine avec les restes / Pendant que l'amour n'y est pas », une peau blanche et des cheveux noirs ne deviennent-ils pas un chocolat liégeois, dans la chanson ainsi titrée, à la chute si délicieuse :

« Mais parfois ça me démange

De tout mélanger pour voir. »

 

    Chez lui, l'amour n'est pas tragique, tout juste pathétique, c'est une affaire de personnes qui s'emmêlent, sans idéalisation de l'autre,

« Je ne veux pas d'amoureuse

Je ne veux pas de moitié

Je suis trop pris ailleurs

Je suis trop prisonnier »

écrit-il dans le même "Chocolat liégeois".

 

    La rime s'exaspère et provoque dans le très rock "Sacher-Masoch" où les « rimes désinvoltes », « Sacher et ces capotes » dans sa poche le mènent tout droit « à (s)a porte / Le réel l'emporte. ». Il n'écrit pas de chansons philosophiques, mais un insistant "Qui suis-je" traverse ses textes, l'épreuve du miroir est impitoyable,

« Se regarder dans la glace 

Le sourire carnassier en dessous 

Oublier son angoisse 

Les pétoches que ça fout » ,

est inséparable du seul défi qui vaille pour supporter la journée qui s'annonce :

« Réussir la plus belle des œuvres d'art

S'accepter dans le miroir »

                                   ("Six O' Clock")

 

   Un quatrain, d'une sublime simplicité, suffit pour boucler ce parcours sensible, le chant du signe d'une âme en peine d'existence. C'est la chanson "Les Oiseaux", déjà évoquée dans l'article précédent.
 

    Avec Origami, sorti au début de 2023, les compositions et arrangements étant cette fois de Vivien Pézerat, le rapport au réel s'exacerbe, dès le très beau "Parfois", au refrain lancinant, emporté par les vocalises à l'indienne de Celinn. Tel Breton et les Surréalistes, le poète ne comprend plus pourquoi « (il) irai(t) au travail » à la seule vue d'une « fille dans le métro ». Le deuxième titre est un hommage bouleversant à la chanteuse britannique Amy Winehouse (1983 - 2011), qui lui serait apparue en rêve et lui aurait inspiré « quelques mots sans qui ce disque ne serait pas » [ mention dans les crédits de l'album ], hommage en forme de lamento funèbre à base de chœurs et de claquements de mains, le chanté-parlé d'une douceur extasiée. Lui succède l'aérien "Ciel de Shoah", Sylvain se laissant aller à un vrai chant, comme une « Prière aux espaces déserts / Où nous étions naguère ». Plus acide, "Center Parcs" dénonce en quelques mots une société factice coupée du réel :

« Nous vivons dans des Center Parcs

Protégés de la Terre, on nous talque »

La musique bondissante, les chœurs se calment pour évoquer le spectacle rare d'un rayon de lumière, alors que règnent « Un Spectacle et la guerre »...

Pas de quoi

En faire

Un drame

 

"Origami", le titre éponyme, avec son harmonium, sa guitare classique et la mélopée indianisante de Celinn, est une échappée onirique, très loin, très folle, célébration précieuse de la « douce origami de ton visage »  au « regard de rose épique ». "Caprice des Dieux" subvertit la classique bluette par un humour un rien moqueur (dès le titre...) et une musique scintillante, le duo avec la voix d'Alexia Aubert en écho. Le titre suivant, "L'Amour au soleil", lui répond ironiquement par un texte érotique vraiment délicieux :

 

« Disparaître sous le sable

Caresser ce qu'on est

Sensuelle camarade

Quadra douce du cercle

 

Je suis en nage

Tu es indienne

Je suis ton arc

Tu es ma flèche

 

Par tous les chemins

si tu viens, je viens

(...)

Quand tu es là, je n'ai qu'une idée en tête

Lécher la flamme que tu ruisselles

Comme un prodige, une pêche

Et titiller ton grain d'ivresse »

 

    Et j'aime beaucoup "Sentima", aux vers courts d'une syllabe, de six pour le refrain, résumé éloquent de la retenue pudique de tout l'album. Le saxophone, déjà présent sur le titre précédent, y apporte sa touche chaleureuse. Pour finir l'album, "Sakin" offre une nouvelle version de "Les Oiseaux", qui concluait le disque précédent, manière de souligner une continuité, mais aussi un renouvellement. Le texte original est encadré par l'ajout du mantra, « Toute âme est tam-tam de toute âme », fondu dans une solennelle introduction instrumentale, et celui symétrique du texte en anglais écrit et dit par Lila Lakehal, racontant la touchante apparition un jour d'un oiseau bleu nommé Sakin, trouvé mort le lendemain matin. Ainsi étendue, la chanson devient tombeau, prière confiante en l'immortalité de l'âme. Le piano accompagne sobrement cette élégie funèbre illuminée en hommage à la beauté.

   Tout compte-rendu de ce disque serait incomplet s'il ne mentionnait pas le beau livret plaçant en regard des paroles de chaque chanson un des dessins de coquillages extrait du livre Coquillages de Jean-Pierre Le Goff : c'est superbe ! Comme pour le disque précédent, n'hésitez pas à regarder les illustrations vidéo, un autre regard sur notre monde, notre quotidien.

Sonique-moi, paru en avril 2021, autoproduit / 12 plages/ 43 minutes environ

Origami, paru en mai 2023, autoproduit / 9 plages / 41 minutes environ

Pour aller plus loin

- albums en écoute et en vente sur bandcamp :

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