Guillermo Cabrera Infante et "La Plus que lente"

Publié le 30 Juillet 2010

Guillermo Cabrera Infante et "La Plus que lente"

   La rubrique La Musique et les Mots me permet d’évoquer des musiques que j’ai choisi de ne pas chroniquer dans ce blog déjà très éclectique, mais qui comptent pour moi, ou qui interrogent mon oreille, ma sensibilité. Plongé dans l’excellent roman du cubain Guillermo Cabrera Infante, La Havane pour un Infante défunt, dont le titre est une transparente paronomase de la ravélienne Pavane pour une Infante défunte, je n’ai été qu’à demi-surpris par un chapitre intitulé « La plus que lente », qui établit un rapprochement inattendu, en tout cas pour moi (qui connais si peu la musique cubaine), entre Debussy et la musique populaire cubaine. Voici le début du chapitre qui prend justement pour titre celui de la valse du compositeur français :

   «  Notable fut l’influence de Claude Debussy sur la musique  populaire cubaine, ou plutôt un certain domaine de la musique populaire, d’où j’excepte le faux folklore et l’expression presque savante  illustrée par le meilleur d’Ernesto Lecuona ou le style typiquement havanais de Boule de Neige. Non que ces deux musiciens, ou d’autres plus modernes (je pense aux chansons et aux interprétations  de Franck Dominguez  ou aux beaux accompagnements pianistiques  d’un Mémé Solis) imitent consciemment l’auteur d’Images – hasard ou non, Images est aussi le titre d’un boléro de Dominguez, très populaire et apprécié d’un délicieux écrivain anglais qui a connu La Havane au temps de sa splendeur-, mais le clavier et les sonorités debussystes sont entré dans la musique  populaire pour piano, peut-être via les œuvres  contemporaines d’Albeniz, sous une forme inconsciente mais constante. S’il y manque les accords brisés, les harmonies moribondes, les arpèges liquides de Debussy, on y retrouve beaucoup de ses sonorités pianistiques, surtout dans les aigus et les forti, plus que dans les pianissimi, et l’on évoque aussitôt en l’écoutant les phrases hésitantes de « La Plus que lente », cette valse que Debussy avouait avoir composée « dans le genre brasserie ».

  La suite du chapitre développe le « rôle joué par Debussy dans (sa) vie amoureuse », puisque le roman se présente comme la chronique autobiographique d’un apprenti Don Juan dans La Havane des années quarante et cinquante. La confession lie intimement musique et érotisme :

« La première fois que j’ai fait l’amour – j’emploie ce gallicisme à dessein, et pour une double raison-, c’était, je m’en étonne encore aujourd’hui, avec la plus jolie fille jamais contemplée par mes yeux cubains ; et, pour la conserver, je dus m’évertuer à lui caresser les tympans avec du Debussy, les pénétrant de ce suave perforateur qui la faisait tomber  dans une extase que j’étais pour ma part bien incapable de lui procurer sans l’aide de vagues à douze heures et quart du matin (comme dit Satie). »

   Comme quoi la musique dite savante infuse souvent la meilleure musique populaire, et peut même s’intégrer à une stratégie de séduction. Alors, Debussy, le tube intemporel et irrésistible de l’été ?

Extraits p.200 et 201.

Roman paru en 1979 / Edité au Seuil, Collection Points n°P599 dans une magnifique traduction d'Anny Amberni, en février 1999.

   Quant à la valse de Debussy, en voici une version plus que lente de Samson François  (un peu lente à charger, cela va de soi...) :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 11 mars 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #La Musique et les Mots

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