Nurse with Wound (1) - Chance Meeting On A Dissecting Table...

Publié le 15 Avril 2012

Nurse with Wound (1) - Chance Meeting On A Dissecting Table...

Pourquoi commencer à parler de Nurse With Wound (NWW) seulement maintenant ?

Meph. - Tu as raison, il faut leur expliquer.

Dio.- Remarque bien qu'avec le titre du blog, les lecteurs devraient s'attendre à tout. Mais quand même...

Meph. - Tout a commencé avec un commentaire posté le 5 mars sur l'article "Spyweirdos, l'électronique onirique". L'internaute t'invitait à regarder une vidéo...de NWW.

Dio. - Inspiré, ce lecteur, que je remercie encore au passage. J'ai plongé dans cet univers incroyable.

Meph. - Et, en complète concertation, nous avons décidé de présenter quelques albums, au gré de nos découvertes.

Dio. - En commençant par le début, toutefois, peut-être dans le désordre ensuite. Mais sans nous soucier des questions d'édition, de réédition...

Meph. - C'est en effet une jungle pour collectionneurs avisés. Ce qui nous intéresse, c'est la musique.

Dio. - Et les pochettes, illustrations intérieures. On ne rentrera pas non plus dans le détail des formations multiples qui se cachent sous les trois lettres. Né en 1978, NWW est un groupe à géométrie variable dont le seul membre permanent est l'anglais Steven Stapleton. La liste des collaborateurs successifs est impressionnante. Leur premier album sort en 1979 : c'est Chance Meeting On A Dissecting Table Of A Sewing Machine And An Umbrella, titre emprunté à Lautréamont dans Les Chants de Maldoror : « beau (...) comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie. » L'une des phrases prisées par les Surréalistes, et en particulier par André Breton !

Meph. - Que l'on évoquait voici peu à propos du disque du groupe anglais Breton, d'ailleurs pour souligner que le rapport entre leur musique et le Surréalisme était rien moins qu'évident. Car il ne suffit pas se réclamer d'une influence, encore faut-il la faire sentir...

Dio. - Ce qui est le cas chez NWW, cette fois. Steven Stapleton affirme, dans la réédition de 2001, son goût pour les musiques inhabituelles — autrement dit singulières, ce qui nous ravit ! — et absurdes. En compagnie d'Heman Pathack, d'origine indienne, et de John Fothergill, ils sont bien décidés à explorer l'inconnu musical. Aussi tous les efforts pour leur coller une étiquette sont-ils vains. Leur musique sera industrielle, ambiante, bruitiste, concrète, selon l'inspiration : inattendue, décalée, d'avant-garde...L'adjectif "expérimentale" serait encore la meilleure façon de dire ce désir permanent, fou, d'inventer de nouveaux chemins. C'est en ce sens qu'elle peut être dite dadaïste ou surréaliste. Steven rappelle les principes fondamentaux guidant leur démarche : 1/ Les titres doivent être longs. 2 / Nous n'aimons pas les chansons : pas de vocaux. 3/ Les pochettes s'inspireront d'expériences d'état de conscience liés aux drogues. Il ne faut pas forcément prendre à la lettre le troisième principe : Steven Stapleton, qui signe la plupart des illustrations, s'inspire des pratiques dadaïstes et surréalistes, à base de collage, de détournement, le tout avec une dimension provocatrice évidente. Comme dans le groupe d'André Breton, il s'agit de faire scandale en effrayant bourgeois et puritains, conformistes frileux aux hypocrites leçons de morale.

Meph. - D'où le titre du groupe, pour commencer. "Nurse With Wound", infirmière avec blessure : un quasi oxymore aux sous-entendus érotiques assumés, rendus explicites par l'illustration liée à l'un des quatre titres (voir ci-contre). Ajoutons que la couverture de Chance Meeting... va dans le même sens, renvoyant au bondage et aux pratiques sado-masochistes, phénomène assez fréquent dans la contre-culture rock si l'on songe notamment, parmi de multiples exemples, à la "Venus in Furs" du Velvet Underground.

Dio. - Chance Meeting... s'ouvre avec "Two Mock Projections". Guitare électrique en longues traînées incandescentes, réverbérations et effets qui saturent l'espace sonore. Du Hendrix revisité, envahi et subverti par un orgue tranquillement inquiétant, lui-même recouvert par des tourbillons, des nuées épaisses de sons électroniques bientôt hoquetant, hachés. Le tout prend des allures de jeu de massacre halluciné. En somme, le ton est donné ! "The Six buttons of Sex appeal" joue l'affolement à travers une guitare échevelée, tout en cisaillements rapides sur fond de micro percussions sourdes. Nous sommes quelque part entre musique expérimentale et free jazz brûlant, avant que l'intervention d'une voix d'écorchée ne nous propulse dans une dimension cauchemardesque, grand guignolesque : ne serait-ce pas les pleurs amplifiés de l'infirmière blessée, torturée... ou en pleine jouissance ?

Meph. - Ce n'est pas à moi de te le dire, mais tu risques d'effaroucher les âmes sensibles, non ? Il y a en tout cas un aspect jusqu'au boutiste dans cette musique totalement libre, indifférente aux qu'en-dira-t-on. Elle creuse sa voie, fore dans l'obscur. Si l'on accepte de la suivre — il faut pour cela de la patience —, on accède, après neuf minutes, à des territoires étranges et beaux, vivants, d'une incroyable manière, qui abolissent les repères ordinaires, les frontières entre acoustique et électronique, entre musique et bruit. Guitare, jouets, outils, se mettent à vibrer, à résonner, à bondir : la fin est splendide !

Dio. - Cette musique prend le contrepied des habitudes de consommation musicale d'aujourd'hui. Pas question de surfer, zapper : il faut attendre, s'immerger, plonger. Et c'est l'extraordinaire " Blank Capsules of Embroidered Cellophane ", presque trente minutes de fusion sous-tension, où l'on sent le trio en complète symbiose, inventant au fur et à mesure. On est assez proche de l'esprit de Musica Elletronica Viva d'Alvin Curran, où l'expérimentale rejoint la musique contemporaine pour le meilleur. Le collage de fragments de contes par la voix de Nadine Mahdjouba souligne la dimension merveilleuse de cette audace : NWW fait surgir une nouvelle langue musicale, authentiquement rimbaldienne, parce qu'elle est en permanence illuminée, illuminante. Cela n'exclut pas des passages calmes, introspectifs...

Meph. - En effet ! Tout se passe comme s'il fallait percer le mur des habitudes. Le cœur des morceaux est la récompense de l'auditeur qui a su s'abandonner pour accéder à la beauté sidérante, stupéfiante. La guitare se met à chanter quand on ne l'attend plus, par-dessus les claviers saturés, les émanations électroniques triturées, les boursouflures non identifiées et, sur la fin tout s'enraye, même les voix amplifiées, comme si l'on remontait le cours de la musique à l'envers. Le dernier titre, "Stain, crack, break", ajout de 2001 si j'ai bien compris, est un véritable poème électronique à base de voix répétées, mêlées : dans cette dislocation progressive de la langue, les mots rendent l'âme, redeviennent pure articulation sonore. La durée de l'expérience est fondamentale dans ce nouveau rapport à la musique : il faut oublier les références, modèles, pour apprécier ce voyage dépaysant !

Dio. - Un disque pour les oreilles intrépides, aventureuses...L'illustration de la dernière page du livret pour terminer...

Meph. - Du Max Ernst pur jus !!

Nurse with Wound (1) - Chance Meeting On A Dissecting Table...

Et la quatrième du cd, fragment de l'image précédente, avec à l'intérieur de la maison le petit bonhomme en gomme rouge dessiné par David Tibet, l'un des collaborateurs de cette réédition enrichie.
 

Nurse with Wound (1) - Chance Meeting On A Dissecting Table...

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Réédition parue en 2010 chez Jnanarecords / 4 titres / 64 minutes

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 24 avril 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales

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