Erlend Apneseth - Nova

Publié le 15 Novembre 2022

Erlend Apneseth - Nova

   Du folk...contemporain et expérimental !

   Erlend Apneseth est l'un des joueurs de violon Hardanger les plus renommés de Norvège. Nova est son premier disque solo depuis neuf ans. Qu'est-ce que le violon Hardanger ? Inspiré du violon baroque, le premier modèle (les sites ne sont pas d'accord à ce sujet...), œuvre de Jonsen Jaasted, date de 1651 et fut fabriqué dans la ville de Hardanger (Norvège), dont il garde le nom. C'est l'instrument du folklore de l'Ouest de la Norvège. Très joliment orné, (voir photographie), il se caractérise par la vibration par sympathie des cordes sous-jacentes aux cordes mélodiques.

Source : instruments du monde.fr

Source : instruments du monde.fr

   Regardez la couverture : au centre du fjord ou du lac flambe un bûcher. J'y vois flamber le violon Hardanger dans la pureté d'un milieu sauvage, d'une atmosphère sacrée... 

Je rends peu compte des disques de folk, parce que davantage orienté pour ce blog vers les musiques contemporaines et que je ne peux tout écouter, mais je suis sensible à la beauté de certains instruments traditionnels, et surtout à la manière dont certains musiciens dépassent la tradition, font de leur instrument un médium intemporel. Je pense par exemple à Josef van Wissem avec son luth, au trio Slagr, dans lequel on trouve d'ailleurs déjà un violon Hardanger, à Stéphane Mauchand pour ses cornemuses. En temps normal, le violon Hardanger accompagne chants et danses des villages, mais est utilisé aussi comme instrument solo. Erlend Apneseth, après une longue parenthèse dans l'univers électro-acoustique et de nombreuses récompenses dans le domaine des musiques improvisées, du jazz ou de la musique de chambre, célèbre les qualités acoustiques de son instrument (qu'il n'a cessé de pratiquer même pendant cette période), dont il explore ici les possibilités sonores de manière très personnelle. Les propos qui suivent éclairent le titre et la tonalité de l'album : « « Pour moi, l'une des choses les plus fascinantes à propos de l'instrument est sa capacité à remplir toute une pièce de son tout seul.(...) C'est un titre qui couvre les différents aspects de l'album. Le son de la salle donne à l'ensemble un caractère presque cosmique, une sensation d'être en lévitation ou dans une autre sphère. Pour moi, c'est avant tout un symbole de l'être humain. En Chine, ils les appelaient des étoiles invitées : de petites lumières nouvellement apparues dans le ciel nocturne, visibles pendant une courte période, puis revenant à leur forme originale. De plus, d'où je viens, "nova" est le terme désignant un sommet de montagne, ou les coins qui relient la maison en bois dans laquelle je vis. »

   Le premier titre, hommage à la beauté des mélodies folkloriques, explore le champ harmonique par des glissades, des successions rapides dans les aigus et quelques médiums. On n'est pas très loin de l'impression produite par certaines cornemuses. C'est une danse vers les étoiles, pleine de belles résonances. "Fall", le second titre, est tourné vers le potentiel dramatique de l'instrument, percussif ou gratté comme une guitare, perdu dans l'espace immense, tandis que "Skuggespel" (Théâtre d'ombre ?), le suivant, qui revient aux cordes frottées, a des allures chamaniques, ne démarrant qu'après des bruissements d'ombres et d'ailes, comme si nous étions dans une caverne. Le violon frémit et chante dans une transe désespérée. 

   "Framand" (Étranger) est une courte évocation écorchée tout en pizzicati ponctuée d'explosions percussives. Suit une pièce plus nettement folk d'esprit, "Speglingar "(Reflets), mais traitée comme une étude de résonances. Si "Bestemor Bremen" sonne plus nostalgique, cette évocation d'une noce villageoise pour une grand-mère, est décantée jusqu'à n'être plus qu'un bref souvenir. "Palmyra" s'évade vers des espaces lointains orientaux, avec son violon langoureux. La brièveté des pièces coupe court toutefois le plus souvent à toute nostalgie, faisant de chacune d'elle un condensé de tradition dépaysé vers ses propriétés résonantes et projeté dans l'intemporel. Ainsi "Tit eit Astrud-bilete" hésite entre la plainte et l'hymne, réduit à quelques phrases espacées.

   "Gravsong" (Chant funèbre), troué de silences, est dépouillé de tout excès lamentatoire, ramené à une sobre méditation mystérieuse, avec une dernière partie magnifique de froissements frémissants. Le disque se termine sur "Ettertid" (Postérité), titre le plus étrange, râle des esprits disparus : à sa manière épurée, un manifeste des potentialités expressives du violon Hardanger, ce violon pleinement d'aujourd'hui, passé avec succès à la postérité grâce au talent d'Erlend Apneseth.

   Je regrette un peu l'extrême brièveté du disque et de certains titres, même si je comprends l'intention du compositeur d'aller à l'essentiel, sa volonté de débarrasser l'instrument d'une gangue sentimentale passéiste. Le développement de certains thèmes ou motifs aurait pu mieux encore montrer la modernité de l'instrument. Ne boudons pas notre plaisir, ce disque très pur, d'un expressionnisme si intériorisé, illumine le silence agrandi de ses belles résonances.

Paru fin août 2022 chez Hubro / 10 plages / 28 minutes environ

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