drones & experimentales

Publié le 28 Mars 2023

William Fowler Collins - Hallucinating Loss

William Fowler Collins, né en 1974, est un compositeur installé dans la compagne au Nouveau-Mexique. Sa musique se situe quelques part entre une ambiante sombre, une forme de néo-classicisme à base de drones. Il a déjà collaboré avec Daniel Menche sur l'album split (2014) , Il présente son nouveau disque comme une méditation sur la douleur, la perte et le chagrin. "Opening scene" explose, gerbe de drones vibrants. Pas question d'en rester aux affects premiers. Une musique cinématographique, nous dit-on. Des affects médiatisés, projetés sur une scène grandiose.

William Fowler Collins - Hallucinating Loss

     "Death acquires A Different Meaning", second titre, revendique ce changement : "la mort acquière un sens différent". Les plaintes de Johanna Hedva trouent le ciel, entendit-on jamais de telles pleureuses ? Des plaintes aux imprécations, il n'y a pas si loin. Ces voix qui se croisent dans le lent tournoiement d'une draperie synthétique échappent aux catégories, dépassent les peines initiales, pour atteindre un niveau cosmique, d'où peut-être le titre de l'album, Hallucinating Loss. L'hallucination dépayse, agrandit. "Interpreting Nightmares" est un titre hanté, d'une abyssale noirceur, dans la déflagration incessante de drones effrayants, de déchirures lancées à toute allure dans les ténèbres, le violoncelle tel un guetteur imperturbable au milieu des visions. C'est donc une musique authentiquement sublime, dans les hauteurs. L'harmonium de "Return Visit" oscille en pleine lévitation tandis que Maria Valentina Chirico plafonne à ses côtés (c'est elle qui joue de l'harmonium). La seconde partie du titre est le retour proprement dit, sous la forme d'une poussée sourde accompagnée d'un grondement encore plus sourd. On retrouve la voix de Maria Valentina Chirico sur le titre suivant, d'abord réduit à un sifflement intermittent sur fond de drones, lequel devient peu à peu une mélopée hyper élégiaque, je veux dire distante, avec l'alto stratosphérique. La voix n'est plus qu'une trace archangélique cerclée par le violon ou l'alto en mouvements suaves. C'est une merveille d'ambiante anthracite, synthétiseurs altiers, souverains, puis un battement comme de tambours transforme la pièce en crescendo soufi. Nous étions pourtant prévenus par le titre, "Preliminal Rites". Plus rien n'existe que cette frénésie battante, d'ailleurs absorbée par le sous-bassement de drones. Il ne reste qu'un tournoiement grave, pour nous enlever définitivement !

  Le titre éponyme, le dernier, revient à un calme relatif, tout bouillonnant de drones comme un chaudron surchauffé, le violoncelle fondu dans la masse. Comme si la douleur enfermée ne pouvant sortir se mettait à muter, à lever, à se jouer une partition spectaculaire, fabuleuse, avant, épuisée par l'effort, de s'affaisser dans des gargouillis répétitifs sombres, hébétés, stupéfiés par l'intensité de la perte.

   Un disque fort, dramatique, avec de très belles envolées.

Très belle couverture de Claudia X. Valdes

Paru en septembre 2022 chez Sicksicksick Distro / Wertern Noir Recordings / 6 plages / 45 minutes environ

Pour aller plus loin

- peu de choses sur les plates-formes à vous faire écouter pour ce disque-ci. J'ai placé un renvoi à un autre disque de William Fowler Collins, Tenebroso (2012) en toute fin d'article. Très beau disque !

- disque en écoute et en vente sur bandcamp :

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Ambiante sombre, #Drones & Expérimentales

Publié le 23 Mars 2023

Iury Lech - ONTONANOLOGY

   Né en Ukraine, installé à Madrid, Iury Lech a déjà derrière lui une longue carrière, avec un premier disque, Otra Rumorosa Superficie, sorti en 1989 chez Hyades, réédité en 2018 chez Utopia Records. ONTONANOLOGY, sorti en mars 2022, est ressorti début 2023 sous forme vinyle en édition limitée à cent exemplaires. Pionnier de la scène électronique et audiovisuelle en Espagne, Lury Lech est un artiste interdisciplinaire influencé par les compositeurs minimalistes ou des alentours, comme Steve Reich, Terry Riley ou Jon Hassell. Si Otra Rumorosa Superficie me paraît fade et loin des minimalistes, Musica para el final de los cantos, sorti en 1990, est un peu meilleur, très reichien dans son premier titre, la suite étant inégale, engluée par une instrumentation synthétique guimauvesque (j'assume le néologisme). ONTONANOLOGY n'a plus beaucoup de rapport avec cette musique électronique douceâtre, et c'est tant mieux !!!

   ONTONANOLOGY ? Une musique philosophique, à la recherche de l'Être ? Sans doute. Rien à voir en tout cas avec les nains de jardin, si ce n'est par l'échelle microscopique des particules électroniques combinées dans cette musique. Ce qui compte, c'est que la musique de Iury Lech a gagné du nerf, lorgne du côté d'Autechre, de la techno minimale, du glitch. Dès le premier titre, "Stellium", on comprend, on entend que Lury s'est débarrassé des matelas synthétiques à s'endormir très vite. Techno bondissante, minimale, bien sèche, aux drones grondants, c'est un plaisir ! "Wúxiàn" file sur des boucles claquantes, hypnotique et brumeux à souhait, avec de belles déchirures acérées. "Dilapidated Ellipsis" est un assemblage de drones secs et de glitchs qui s'envole dans un lyrisme abstrait et sombre, orageux. Finie la mélancolie de pacotille, les affects douteux..."Tranxenobots" propose un hallucinant voyage en pleine science-fiction : techno pointilliste, réduite à des suites micro-percussives superposées, traversant l'espace sonore en tout sens, c'est d'une beauté à l'os !

  J'entends la cinquième titre, "Ontonanology (et banalité)", comme une mise à mort ironique de l'ancienne manière : les nappes moelleuses sont littéralement trouées par les craquements, un lit de petites morsures serrées. Le moins bon titre en tout cas, pivot un peu mou de l'album ! Heureusement, "Precambric Strain" repart très fort, mitrailleuse répétitive aux brèves fulgurances, avec des tourbillons noirs, une force implacable, pour une plongée finale électroniquement haletante ! Cette deuxième partie se fait presque industrielle avec "Oneiric Atmos", choc d'astres dans l'infini. Toujours hypnotique, elle vire abyssale, inquiétante. Et "Devastated Okeans" nous submerge sous un flux énorme, peuplé de rayonnements ténébreux. Une étrange chevauchée fantastique déferle dans une atmosphère apocalyptique. Absolument excellent ! "Licca Carpatiana" continue dans la même veine très sombre d'une techno ambiante minimale, picotements percussifs serrés, drones et frottements, froissements, sorte de jungle électronique étouffante, dont on ne sortira plus jamais... si ce n'est pour des scénarios de musique sauvage, l'étonnant dernier titre, "Wild Music Scenarios", quasi goguenard dans son aspect grotesque, outrancier. Pas le meilleur à mon sens.

  Un excellent disque de musique électronique techno-ambiante sombre.

Titres préférés : 1) "Stellium" (le 1) / "Tranxenobots" (le 4) / "Precambric Strain" (le 6) / "Oneiric Atmos" (le 7) et "Devastated Okeans" (le 8)

Paru en janvier 2023 chez Amorfik Artifacts / 10 plages / 57 minutes environ

Pour aller plus loin

- rien sur les plate-formes connues, et des vidéos hélas "privatives", comme celle-ci pour "Stellium" sur vimeo(d'autres vidéos sont sur la même page)

- disque en écoute et en vente sur bandcamp :

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Publié le 18 Février 2023

Siavash Amini & Eugene Thacker - Songs for Sad Poets
   Poésie philosophique et poésie sonore,
vers l'inexprimable

   Pas question de laisser passer ce nouveau disque de l'iranien Siavash Amini, même s'il est sorti voilà presque six mois. J'avais couvert d'éloges (mérités je trouve) A Trail of Laughters, paru en juin 2021 chez Room40. On retrouve dans Songs for Bad Poets le lien avec la littérature, puisque le disque, entièrement composé par Amini, est en étroite symbiose avec les poèmes de l'écrivain new-yorkais Eugene Thacker, dont il propose en somme des équivalents ou des projections sonores. On n'entend pas les poèmes, mais on peut les lire en écoutant les morceaux, grâce au livret d'accompagnement du disque. Les deux artistes, qui s'admirent réciproquement, proposent une forme de cycle dans la tradition des Lieder ohne Worte (Romances sans paroles) de Felix Mendelssohn. Les huit pièces, dédiées à huit poètes réputés "maudits", s'inscrivent dans une tradition nihiliste et pessimiste qui est au cœur de la philosophie de Thacker. Chez lui d'ailleurs poésie et philosophie ne sont pas séparées. L'idée générale de cette collaboration est celle d'une mélancolie liée à la tristesse sans cause, sorte de spleen, provoqué par le sentiment de vacuité face à la fragilité de l'existence humaine.

Hommage à huit «poètes maudits»

Dans l'ordre :

1) Gérard de Nerval (France, 1808 -suicide en 1845)

2) Chūya Nakahara (Japon, 1907 - 1937), «Rimbaud japonais», dit-on...

3) Sadeq Hedayat (Iran, 1903 - suicide en 1951), auteur de ce roman halluciné, inoubliable, La Chouette aveugle (1953)

4) Alejandra Pizarnik (Argentine, 1936 - suicide en 1972)

5) Giacomo Leopardi (Italie, 1798 - 1837)

6) Mário de Sá-Carneiro (Portugal, 1890 - suicide en 1916)

7) Zhu Shuzhen (Chine, vers 1135 - 1180)

8) Jean-Joseph Rabearivelo (Madagascar, 1901 ou 1903 - suicide en 1937) poète d'expression française

Des vies courtes, parfois terminées par un suicide. Des œuvres hantées par le pessimisme, mais fulgurantes ! Je vous propose le premier texte d'Eugene Thacker, avec une traduction de base, à vous d'affiner. Le texte interfère nettement avec l'œuvre de Nerval, en particulier avec son sonnet le plus mystérieux, El Desdichado, et le récit Aurélia. Suit le paysage sonore composé par Siavash Amini.

Siavash Amini & Eugene Thacker - Songs for Sad Poets
« Les forêts d'obsidienne
anéantissent tous les rêves. »

      Aux poèmes denses, elliptiques et puissamment évocateurs d'Eugene Hacker répondent les fresques grandioses de Siavash Amini comme autant de ciels noirs troués de splendeurs. Condensation / Extension. Amini développe, va chercher les astres morts de la mélancolie pour des parades ivoiriennes, tumultueuses, inquiétantes. L'univers d'Amini regorge de pièges, de mystères. Drones épais et coulées de lumières radieuses évoluent majestueusement. Les textures changent à vue dans une atmosphère d'attente. Tout un cortège de splendeurs murmure dans des nuits sans fin des lamentations d'outre-tombe, d'outre-espace. Ce sont des esprits enroulés dans les nuages du néant, car les morts de tous les temps sont là dans les interstices des feuillures, sortis des ossuaires. Extraordinaire musique, que cette symphonie hallucinée des morts-vivants. Invasions, comètes, pluies d'astéroïdes dans les plaines infinies du silence de toujours, étranges levées crépusculaires...Les compositions d'Amini sont d'une somptueuse précision, jamais monotones en dépit de la longueur du disque. Elles nous captivent, chargées d'une matière noire, couteaux d'obsidienne aux frisures de nos nerfs exaltés par la beauté sauvage de leurs toiles dérivantes.

   Un chef d'œuvre de la musique ambiante électronique à ne pas manquer !

Paru fin septembre 2022 chez Hallow Ground / 10 plages / 72 minutes environ

Pour aller plus loin

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Publié le 8 Février 2023

Aviva Endean - Moths & Stars

   Clarinettiste, la compositrice australienne Aviva Endean a voulu pour son second opus Moths & Stars (Papillons de nuit et Étoiles) libérer la musique du lieu et du moment de son interprétation, ou d'une perspective unique. Elle a cherché à créer comme une intimité avec notre oreille, si bien que l'on pourrait entendre le battement de l'aile d'un papillon de nuit dans le vaste ciel étoilé. Pour cela, elle a beaucoup utilisé ses microphones pour capter le microscopique, réinventer des timbres et des tonalités à partir de ses instruments et de sons archivés, et grâce à de nouveaux outils d'approche, s'abandonner à l'intuition pour explorer l'inconnu.

Aviva Endean

Aviva Endean

Ce qui appelle dans le calme

   Des déflagrations déchirées se croisent au début de "Between Islands", les bourdons de ses clarinettes halètent : nuit hantée, enchantée par de micro chants, des battements d'ailes, dans une grande douceur soyeuse, avec en fin de pièce la levée discrète de voix à l'unisson, si bien qu'on enchaîne avec "Nightwork", pièce ambiante éthérée tapissée par les drones de clarinette basse et les voix de plus en plus envoûtantes, féminines et masculines, qui tournoient suavement. C'est un chœur céleste autour duquel évolue la clarinette dans des aigus étirés qui la font sonner comme un thérémine. Au début de "Moths & Stars", la clarinette pulse brièvement comme chez Steve Reich, puis les différentes couches sonores alternent au premier plan, la pulsation grave revient. Des îlots sonores nagent dans un ciel sonore de plus en plus mystérieux, peuplé de survenues frémissantes. Les timbres flottent dans le sublime des auras en mouvement. Aviva Endean tisse ainsi une musique tranquillement somptueuse d'un extrême raffinement.

   La suite ne dément pas cette première moitié. "Same River, Twice" joue sur la démultiplication des clarinettes, avec un fond agité de graves et des aigus comme de petites griffes, sur un matelas de bourdons. De temps en temps, des poissons vifs se faufilent dans l'onde et puis se fondent pour laisser place à des vagues profondes, moelleuses. Quel beau titre que le suivant : "What Calls in the Quiet", que j'ai choisi pour titrer mon article ! Vertige si tendre de ce charme irrésistible, malgré le bourdonnement de frelons de la fin, prélude à la dernière pièce, "Mirror Signals", creusée de courbures et zébrures, de fines vibrations, le tout sur un lit de drones très doux. Il y a là une extase spectrale d'une incroyable beauté diaphane, une cérémonie attentive au moindre son, si délicatement mis en lumière qu'il resplendit de toute sa nature intrinsèquement pulsatoire.

  Un disque ravissant, aux paysages sonores parfois exotiques et mystérieux, sculptés avec un soin admirable.

Paru début décembre 2022 chez Room40 / 6 plages / 36 minutes environ

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Publié le 28 Janvier 2023

Martina Bertoni - Hypnagogia

   Martina Bertoni ! J'avais célébré l'an dernier son premier disque chez Karlrecords, Music for Empty Flats. La violoncelliste et artiste électronique revient avec un disque superbe, qui frappe comme un coup de poing. C'est le sublime premier titre, "Inversion", hommage indirect à Steve Reich par son impulsion irrésistible. Titre cosmique, spatial, bien dans la ligne de l'inspiration du livre de Stanislas Lem Solaris dont la lecture l'a, dit-elle, partiellement inspiré pour l'album, qui retracerait un voyage cosmique imaginaire du Soi se terminant dans un écrasement aveuglant. Rappelons que l'hypnagogie renvoie à la phase d'endormissement, pendant laquelle on peut être sujet à des hallucinations ou rêves lucides puisant leur matière dans les réservoirs du subconscient ou de l'inconscient. Des voix fendent le ciel piqueté d'étoiles, des drones ponctuent l'élan, une immense respiration nous propulse toujours plus loin tandis que des zébrures marbrent l'azur. C'est un départ comme une extase, un fondu des couleurs...

  

   "Collided", le second titre, n'est pas moins impressionnant : entrée en collision de particules, battements des matières, le violoncelle énorme emplit les oreilles de son ronflement magnifique, de son chant monté des profondeurs. Des coups d'archet comme ponctuation de ce lamento suave, rauque parfois... Avec "From E to W", nous voyageons dans une zone de turbulences, les textures électroniques se chevauchent dans un brouillard chuintant, mais une traînée de lumière allume l'espace, des voix suprahumaines saturent l'immensité, le vaisseau spatial avance à sa vitesse de croisière. Il arrive que le cosmos fleurisse, c'est "Orchid", aux diaprures tournoyantes parmi les vents déchaînés. Martina Bertoni construit une fresque grandiose, constamment inspirée, d'une foisonnante beauté.

   Si vous ne fondez pas en écoutant "Hemisphere", je ne peux plus rien pour vous. C'est encore un chef d'œuvre que la compositrice tire de son violoncelle démultiplié, vaporisé par l'électronique, et pourtant langoureux et charmeur, si métaphorique (au sens étymologique) qu'il enchante et fascine ! Avec le dernier titre, "You Sun", nous approchons du soleil, la musique rayonne sourdement, une déflagration monte et éclate : des forces énormes circulent dans l'aura spectrale pulsante jusqu'à un second écrasement.

 Le disque épique et flamboyant d'une compositrice visionnaire ! Une splendeur !

Parution le 20 janvier 2023 chez Karlrecords / 6 plages / 38 minutes environ

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Publié le 25 Janvier 2023

Colin Stetson - Chimæra I

   Corniste installé à Montréal depuis 2007, Colin Stetson a joué avec Tom Waits, Arcade Fire, Laurie Anderson, Lou Reed, Bill Laswell, et bien d'autres. Il s'est peu à peu imposé comme soliste, surtout au saxophone et à la clarinette. Chimæra I regroupe deux pièces longues aux bourdons (drones) prolongés, poussant ses capacités physiques vers de nouvelles frontières.

   Les deux pièces nous propulsent dans un monde d'une incroyable densité sonore, peuplé par un saxophone démultiplié, dont les flots magmatiques emplissent une immense caverne sonore. On ne sait plus où finit le saxophone, où commencent d'autre sonorités, car on croit entendre des voix dans ce profond déferlement. Le premier titre, baptisé "Orthrus", renvoie d'une part à une espèce d'araignée, peut-être parce que cette musique tisse des fils, nous enveloppe dans un cocon velouté, celui des drones, des bourdons, mais aussi d'autre part, dans la mythologie, au chien à deux têtes, fils d'Échidna et de Typhon, qui gardait le bétail de Géryon. Nous voici chez les monstres, du côté du chaos primordial, de créatures hybrides. Le saxophone de Colin Stetson crée sans cesse des hybridations proliférantes, monstrueuses en ce sens qu'elles semblent s'auto-engendrer, entourées de voix sépulcrales gémissantes et de boursouflures craquelées, qui raclent la matière des drones.
 

  

   Le deuxième titre, "Cerberus", est le frère du premier, et confirme que Colin a sans doute pensé à la mythologie plus qu'à l'araignée, puisque ce chien à trois têtes (ou cinquante selon les auteurs...) est le frère d'Orthrus. Quelque chose se déchire doucement sous la poussée du bourdon en vrilles lentes, libérant des esprits infernaux. Les drones se croisent, se superposent, avec une voix plus aiguë qui traverse parfois ce brouillard opaque. Le saxophone est devenu l'instrument d'un ballet ambiant de boucles multiples, dont la densité semble augmenter jusqu'à saturer l'espace. Musique écrasante, tellurique, comme marbrée de traînées plus vibrantes. C'est un maelstrom au ralenti, peuplé de voix fondues dans la masse, à peine aéré d'un passage plus calme à mi-chemin. N'oublions pas le titre de l'album, Chimæra : cette créature fantastique est un hybride, à la limite du descriptible, comme cette musique fabuleuse, gonflée d'apparitions sonores, d'appels incessants...

   Deux hymnes puissants aux pouvoirs inconnus du saxophone !

Paru en novembre 2022 chez Room40 / 2 plages / 42 minutes environ

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Publié le 6 Janvier 2023

Simona Zamboli - A Laugh Will Bury You

   Musicienne électronique et chasseuse de sons : ainsi se définit Simona Zamboli, de Milan (Italie). Je me retrouve assez mal dans le dédale de ses nombreuses productions, et je ne sais si je pourrai vous trouver une illustration sonore, l'album n'étant ni sur bandcamp ni sur YouTube. Si le rire est fragile rébellion, comme elle le dit à propos de son album, il faut reconnaître que le disque dans son entier semble en rébellion contre tous les clichés, tous les attendus. Pas de son léché ou impeccable, oh non, un son agressif, brutal, bruitiste, qui congédie les notions d'harmonie, de fluidité, de clarté. Nous sommes dans un univers chargé, saturé, hoquetant, déchiré. Un titre comme "Corrosive Tears" dit bien cette anti-esthétique, ce refus du joli et des bons sentiments lénifiants. Cette musique détruit, attaque de toutes ses lames, elle laisse le monde dehors nous dit le titre 9 : "Leave the World Behind", que je lis comme un ordre, pour accéder à son monde souterrain (titre 2 : "Underworld"). Cela ne veut pas dire non plus que la beauté soit absente, à condition de la concevoir comme absolument obsédante, avec des boucles folles, des rythmes de plomb, un foisonnement chaotique, des sons déformés. Certains titres oscillent entre post-punk et musique industrielle, expérimentale : mais ravagée, comme le titre éponyme, hallucinant déferlement de déflagrations, tirs, cisaillements, mais monstrueuse, telle une hydre déchaînée n'en finissant pas de cracher son dégoût, son rejet absolu !

  Si on envisage les titres, un cheminement se dessine : le titre 1, "Haunting Ruined Landscapes", survole un monde détruit, quasi inaudible, réduit à des gargouillis, des squelettes mélodiques aplatis ;  on croit entendre pendant quelques secondes le travail de destruction qui a produit ces ruines. Le titre 2, "Underworld", c'est l'entrée dans un univers industriel marqué par un pilonnage rythmique puissant, épais, accompagné de rouages inhumains, grinçants. Suit un titre de techno minimale dans un premier temps, "I'm not there", la voix remplacée par un curieux coassement, puis véritable sous forme d'un halo lointain tandis que nous avons l'impression d'être dans l'antre de Vulcain : forgerie d'un monde inconnu ! Les trois titres suivants, "Dive", "Movement" et "Breathe", nous apprennent à vivre dans ce nouveau monde dans lequel nous sommes immergés, contraints par un balbutiement-pulsion et des coups de fouet électronique : la plongée, "Dive", est virtuellement infinie, nous laisse peu à peu cependant en étrange pays, et nous sommes accueillis par une vraie voix, un fragment en boucle bientôt mêlé à un second, et surtout à une turgescence sonore, un capharnaüm sidérant.  "Breathe" offre un bref exemple de mélodie à l'arrière-plan, recouvert par un picotement sonore : nouvel adieu au monde d'avant. "Giuditta & Oloferne", titre biblique s'il en est (la mise à mort du général Holopherne, envoyé par Nabuchodonosor, grâce à une ruse de la juive Judith, qui sauve ainsi son peuple), évoque une guerre sombre, interminable, tout en boucles ronflantes, encrassées de particules électroniques coagulées. La suite, vous la connaissez un peu déjà..

  Au total, un "Cruel World" (titre 11), évocation onirique (cauchemardesque !) d'un monde réduit à quelques mouvements répétés, déchiré par des forces obscures...

   Un disque visionnaire et décapant, évidemment pas pour les délicats.

Pas d'extrait du disque à vous proposer. Faute de mieux, une performance studio de Simona Zamboli, beaucoup moins sombre et plus sage que le disque, je trouve...

Paru fin décembre 2022 chez Mille Plateaux / 11 plages / 57 minutes environ

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Publié le 4 Janvier 2023

OLO - Neige Noire

   Pseudonyme du compositeur, producteur et bassiste suisse Loïc Grobéty, OLO signe les compositions impressionnantes du musicien en solo à la basse électrique et à la contrebasse, au synthétiseur Lyra 8 et aux instruments bricolés. Les trois compositions sont inspirées par des paysages et des climats, comme le suggère déjà l'image de couverture, glaciale et désolée, tout en reliefs acérés, arides.

   Le premier long titre, de presque vingt-huit minutes, "Nocturne" est lié à un paysage de Le Pont (Suisse), près du lac de Joux. Il fait moins dix degrés, le lac gèle et la pleine lune suscite des formes fantomales qui apparaissent sur la glace. C'est d'abord un long lamento aux sons étirés, au rythme lent. Des lames de glace qui se chevauchent, des ponctuations rythmiques lourdes, sourdes. On s'enfonce dans un désert sans fin, chaque note comme une trace inscrite profondément dans le sol qui se crevasse. Et peu à peu quelque chose d'informe se lève, gronde, une boule noire striée de coulées claires, au fil de boucles obsédantes. Puis vers quatorze minutes, de puissants craquements, des déflagrations, brisent et enflamment cette atmosphère pesante, angoissante. L'ambiante noire vire alors à une sorte de métal émaillé de riffs distordus, de vocaux troubles. Un véritable mur du son fait exploser l'espace sonore, en proie au chaos. Du glacial figé, on est passé à la lave brûlante, torrentueuse, destructrice. Les quatre minutes finales se remettent difficilement de cette apocalypse : le cœur de l'espace bat, puis tout se dérègle à nouveau, crache, se brouille, avant quelques mesures apaisées nous ramenant au début. Un titre austère, sauvage, impressionnant !

  "Flateyjarkirja", le second titre qui dépasse cette fois les trente minutes, renvoie à une petite île volcanique et sauvage du nord-ouest de l'Islande. Quelques sons de terrain pour poser le cadre... puis des drones légers, comme un brouillard enveloppant qui nous isole du monde d'avant. Des sons désossés montent, les archets décharnent les notes, donnant naissance à une respiration profonde, large. La pièce atteint vite à une somptuosité sombre, les drones les plus graves en vagues enroulées, à peine éclairés de quelques stries plus claires. Vers onze minutes, une nouvelle phase s'annonce par un passage au blanc légèrement pulsant, puis au silence. Dans le lointain la musique renaît, raclée, frottée, puis elle se rapproche, moteur vibrant, ronronnant : une musique qui efface, qui envahit, au ras des cordes, elle-même peuplée de multiples petits bruits comme des animalcules en suspension dans la coulée hypnotique criblée maintenant de multiples petits trous dirait-on. La pièce est devenue une odyssée minimale, une ode à la basse et à la contrebasse emmêlées dans un tourbillonnement électronique interne, comme si nous étions progressivement rentrés dans l'antre du volcan, dont nous entendons ensuite le cœur formidable, la fusion énorme, le flux magmatique prêt à s'échapper. Un deuxième titre tout aussi réussi, plus austère encore.

   En conclusion, un titre court, "Léthé", réinterprétation personnelle du titre de l'abum Gallery (1995) du musicien suédois Martin Henriksson du groupe Dark Tranquillity. Un titre calme, doucement élégiaque, à la guitare chantante, écho d'une nature apaisante. En somme le contrepoint absolu des deux traversées précédentes : une manière d'oublier la sauvagerie sombre de la nature non-idéalisée !

  Un bel album entre ambiante sombre, métal et dérive minimale.

 Presque rien sur les plates-formes à vous proposer, sinon ce très très bref aperçu...forcément réducteur !

 

Paru début novembre 2022 chez Midira Records / 3 plages / 64 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Metal et alentours, #Drones & Expérimentales