musiques ambiantes - electroniques

Publié le 31 Janvier 2014

Piano Interrupted - The Unified field

   Deuxième disque du pianiste et compositeur britannique Tom Hodge et du compositeur, producteur (et Dj) de musique électronique français Franz Kirmann (alias de François Gamaury), The Unified Field fait aussi appel au violoncelle de Greg Hall et à la contrebasse de Tim Fairhall. Le titre viendrait du livre de David Lynch, Catching the big Fish, une méditation sur les chemins de la créativité dans laquelle il développe des idées qui ne sont pas sans rappeler la théorie des correspondances chère à Baudelaire : ce qui peut paraître isolé dans le réel est de fait relié par un réseau de connexions avec ce qui l'entoure ; l'artiste qui saura établir les connexions trouvera le chemin de son opus magnus ! Venus d'horizons différents, Tom Hodge et Franz Kirmann unifient le champ de leurs mutuelles expériences, ce qui s'inscrit à merveille dans la perspective de ce blog !

   "Emoticon", d'emblée, allie piano et électronique : fragile mélodie prolongée par des échos et réverbérations électroniques, nouvelle ponctuation rythmique. La pièce se fait élégiaque avec l'entrée du violoncelle de Greg Hall, et en même temps se densifie par l'intrusion de textures granuleuses. Construite en boucles larges, elle conserve un bel équilibre entre acoustique et sons synthétiques, bien ponctuée par la contrebasse discrète de Tim Fairhall. "Two or three things" poursuit l'intrication des deux domaines, tout en délicatesse, avec des suspensions miraculeuses. C'est une danse très lente, voluptueuse et tendre. Comment ne pas être séduit ? Nous sommes si loin des pompes, des poses et des décibels inutiles de trop de musiciens de la scène électronique, grands enfants dépassés par la puissance de leurs techniques !

   "Cross Hands" confirme cette voie de la simplicité, de la limpidité. Le piano marche, puis court sur une corde, sans la toucher dirait-on, soutenu à peine, avec une immense délicatesse, par le violoncelle et la contrebasse. Comme j'aime cette légèreté aérienne, cette griserie soudain réfrénée, cette invention, mine de rien, de nouvelles perspectives sonores qui surgissent au détour d'un phrasé, s'aplatissent à chaque fois qu'elles pourraient devenir emphatiques. Cette musique est modeste, et d'autant plus belle. "Darkly shining" est un premier aboutissement de ce parcours : pièce planante et raffinée, chatoyante comme une étoffe aux mille plis, elle se déploie en jouant de son velouté un peu trouble. Le titre éponyme est plus syncopé, marqué par des frappes percussives étagées, bientôt relayées par des irruptions de nappes synthétiques lointaines, aux limites de la perception, et survient le piano, calme et chantant, tout se tait devant lui, quelques sons percussifs comme si l'on toquait à la porte, apesanteur...Ambiance de jungle tout au début de "An accidental fugue", curieux raccourci entre somptuosité médiévale des cordes, jazz discret de la contrebasse, fougue post minimaliste bien tempérée du piano, intrusions électroniques, sonorités de clavecin. Rien d'hétéroclite pourtant, tout étant récupéré au final dans une envolée orchestrale d'un beau lyrisme.

   La suite ne déçoit pas, le cocktail fonctionne à merveille, dosé, toujours intrigant. On pourra trouver "Open line" facile, mais j'aime sa fluidité, sa transparence, ses micro percussions, son piano ou clavier qui picore de la dentelle, son côté Kraftwerk très doux !! "Camara obscura" reste dans l'oreille, bijou minimaliste serti d'échappées langoureuses de violoncelle, étoffé de dérapages et de brouillages percussifs, avec des laisser-aller, oui, comme des abandons, des chutes lentes et des résurrections miraculeuses dans la ouate des songes électroniques. "Path of most resistance" poursuit la veine onirique, entre sons moelleux et textures feutrées, nous entraînant de plus en plus loin, le violoncelle alangui, charmeur, on marche avec précaution sur les feuilles à peine craquantes...un dernier scratch comme un soupir...et c'est "Lost Coda", piano préparé brinquebalant, titubant, sorte d'anti techno trouée de coulées harmonieuses recouvertes par une masse de sons graves, sourds, soudain illuminés par un piano naturel qui varie un petit thème tout simple, de plus en plus doucement.

   Un disque subtil et limpide, qui se promène avec aisance dans des champs divers, du minimalisme à la musique électronique en passant par des réminiscences classiques, jazz, créant une musique ambiante d'un nouveau style, aux paysages mouvants, changeants à vue d'oreille (la plupart des titres durent autour de quatre minutes).

Mes titres préférés : "Cross Hands " (3) / "Darkly shining" (4) / "Camera obscura " (8)

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Paru chez Denovali Records en 2013 / 10 titres / 44 minutes

Pour aller plus loin

- la page consacrée à l'album sur le site de Denovali (avec quelques titres en écoute).

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 juillet 2021)

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Publié le 12 Décembre 2013

Tim Hecker - Virgins

   Au fil du temps le canadien Tim Hecker construit une œuvre toujours plus élaborée, plus sidérante. Aux synthétiseurs, orgue et harmonium se sont ajoutés le piano, bien sûr déjà présent sur les derniers disques précédents comme Dropped pianos ou Ravedeath, 1972, mais aussi bois et cuivres fondus dans les sons électroniques et les nappes de drones. Entouré de quelques musiciens et avec la participation au mixage de l'islandais Valgeir Sigurdsson, il est au meilleur de lui-même.

   Dès le premier titre, "Prism", l'orgue se démutiplie, s'enraye dans des boucles de plus en plus saturées de particules sonores. Comme un vent s'est levé, qui vous jette dans l'ailleurs.

   Avec "Virginal I", le piano apparaît au premier plan, immobile au centre d'autres boucles plus serrées encore, un piano qui sonne presque comme un clavecin, rejoint par un saxophone très grave qui pulse à la Steve Reich (toujours lui, le grand maître qui hante beaucoup de musiciens d'aujourd'hui), cerné de drones qui se fracasent dans une atmosphère apocalyptique, de cris quasiment subliminaux lovés dans ce maelstrom, avant de s'endormir dans une série de hoquets saccadés accompagnés d'accords lointains, de pointes de hautbois (?). C'est absolument superbe, envoûtant, et je ne comprends rien à toutes ces chroniques qui font la fine bouche, ergotant sur les ratages navrants d'un musicien sans doute trop admiré à leur goût pour les artistes maudits vénérés par une petite côterie d'initiés blafards, s'épuisent en comparaisons fastidieuses. Je me réjouis du succès de ce montréalais inspiré dont il faut écouter les albums de bout en bout, sans coupure, pour en apprécier l'architecture soignée et la sombre beauté. "Radiance", après les éclats du titre précédent, est davantage en sourdine, retenu, discrètement incantatoire avec ses nappes glissées qui nous aspirent à notre insu vers "Live Room", son piano claudicant au milieu de grincements et des bruits de ses marteaux. Atmosphère gothique hallucinée traversée de zébrures erratiques, tout se défait, les sons se déforment, mais tout s'oriente à nouveau dans une marche obstinée sous-tendue par un orgue ronflant, et ce qui est très beau, c'est cette alliance contre nature entre les sons déchirés, disloqués, et les nappes souveraines, enveloppantes de cet orgue si cher à Tim, elles emportent tout, nous enlèvent pour nous déposer avec une incroyable douceur au pied du jumeau "Live Room out", tapissé de clarinettes, hautbois, ourlé d'ondes caressantes tandis que les échos du titre précédent finissent leur voyage et que quelques notes de piano nous achèvent de douceur trouble. "Virginals II" semble d'abord le clone de "Virginal I", car tout se dédouble, se démutiplie dans cette chambre aux prestiges, ce palais des miroirs brisés dont on ne sortira jamais, enfermés dans les boucles minimalistes. Le plaisir de l'auditeur est lié à ces jeux d'échos. Nous errons dans un dédale, nous croyons avancer et nous reprenons les mêmes couloirs, mais ils sont un peu différents, puis si différents qu'on ne reconnaît presque plus rien. D'une certaine manière, la musique de Tim Hecker procède un peu comme le cinéma de David Lynch, se jouant de nous en sapant nos repères, nous dépaysant pour nous entraîner vers des mondes abyssaux. "Black refraction" paraît un havre mélodieux, mais c'est un piège à répétition qui nous jette un charme. Comment résister à du pseudo Brian Eno distordu, torpillé par une touche bloquée ? Seul le bref "Incense at Abu Ghraib", avec ses esprits errants qui strient un ciel de cendre, vous en sortira... pour vous livrer à "Amps, Drugs, Harmonium", autre page vertigineuse enroulée en spirales éraflées d'albâtre incrustré de phrases cristallines-voilées. Vous approchez du mystère, déjà vous portez les "Stigmata I" et "II, encore un dyptique. Tout dérape et se froisse dans le courant sombre, le vent électronique du fond duquel le piano marche tranquille, dans la certitude d'atteindre les vierges recherchées au travers de ces espaces inquiets et inquiétants. Une euphorie noire, marquée par une ligne percussive abrasive, s'empare du deuxième volet, avec une véritable lévitation tremblée, une esquisse de nouvelle pulsation accompagnée de rondeurs boisées, qui se résorbe en bruits et souffles. Vous êtes maintenant à "Stab Variation", tournoiements et sabordements, l'âge de la déconstruction du même, fascinante chambre des tortures sonores transcendée par l'invasion des claviers d'abord diaphanes puis solennels, démultipliés bien sûr pour cette apothéose surréelle, rutilante, somptueuse. Arrivé là, casque sur les oreilles au long de cette chronique improvisée au fil de la musique de Tim Hecker, moi je dis : chef d'œuvre, et je m'incline devant un maître, et je le remercie humblement pour tout ce qu'il vient de me donner.  

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Paru chez Kranky / 12 titres / 49 minutes

Pour aller plus loin

- le site de Tim Hecker

- Quel extrait vous proposer sinon ? Allez, le si beau et émouvant "Black Refraction" :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 juillet 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 7 Août 2013

Zvuku - Other room listening

Ils auraient mérité une chronique (3)

   Zvuku, alias de Karl McGraph, actif sur la scène de Dublin, concocte une musique ambiante électro-acoustique à la fois sereine et dramatique à partir de piano, violon, guitare, drones et effets. On pourrait le situer dans le prolongement des meilleurs Tangerine Dream, en moins démonstratif. Karl, attentif à déployer ses toiles en étageant les textures, nous enveloppe dans des volutes soyeuses, somptueuses, des boucles lentes et diaprées. C'est en 2012 qu'il sort son premier cd, Other room listening, sur le label Futuresequence : huit titres, rien à jeter, parfait pour laisser errer son esprit dans les filigranes délicats des nuages intérieurs ou des forêts nocturnes étoilées.

Paru chez Futuresequence  en 2012 / 6 titres / 41 minutes environ

Pour aller plus loin

- Zvuku sur soundcloud.

- "Logpile", le premier titre en écoute (fausse video)

- album en écoute et en téléchargement gratuit sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 juillet 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 4 Mai 2013

The Alvaret Ensemble : à l'affût de l'Ineffable...

   The Alvaret Ensemble est un collectif de musique improvisée fondé très récemment par Greg Haines (piano), Jan Kleestra (poèmes, guitare, voix), son frère Romke Kleefstra à la guitare et aux effets, Sytze Pruiksma aux percussions. Les quatre musiciens sont rejoints par le tromboniste Hilary Jeffery, les violonistes Iden Reinhart et Peter Broderick, l'organiste Martyn Heyne à l'orgue d'église selon les morceaux. Enregistré en trois jours d'août 2011 par Nils Frahm dans l'église Grunewald de Berlin, ce double cd ne livre que peu à peu ses beautés, qui en valent la peine.

     Tous les titres sont composés de trois lettres. "BYD" ouvre le premier cd : atmosphère raréfiée, guitare lointaine, piano parcimonieux. Un rythme lent, une musique qui semble s'égoutter du silence. Le piano ponctue, le trombone déroule des volutes lourdes coupées de virgules percussives. Vous y êtes, c'est là. La voix de Jan Kleefstra peut poser son premier poème brumeux (en frison, je le rappelle ; la pochette bilingue - frison / anglais - permet de suivre cette belle langue). Il y a parfois comme un frissonnement de cloches. Le piano se fait plus puissant, mais c'est le même balancement presque imperceptible qui nous emporte dans une douce rêverie. Puis le morceau s'anime, le piano devient eau courante, la percussion s'anime, surgit le violon très agile : on sent le groupe soudé, ensemble pour une expérience musicale hors du commun. Le piano ouvre "DDE" par des grappes carillonnantes espacées de frottis percussifs. La pièce se suspend le temps de quelques secondes de quasi silence, le trombone, à nouveau, fournit son contrepoint puissamment cuivré. Jan glisse ses mots dans les creux, le trombone s'époumone, la percussion s'emballe, le piano rutile. Atmosphère de ferveur, attente lumineuse...Une musique qui traque l'ineffable, résolument éloignée de tout esprit démonstratif. Mais jamais ennuyeuse, car en perpétuel mouvement, en recherche, à l'affût, saisissant le moment pour en extraire la beauté dans des élans joyeux, emportée parfois par des ondes vibrantes, accélérant à l'assaut des racines du ciel dans des transes fusionnelles impressionnantes. Et des moments de grâce extatique, comme dans "OND", avec un superbe duo piano - violon souligné par une clochette.

   "YSJ", premier titre du second cd, cultive le mystère avec une ambiance de crypte segmentée de puissants roulements de tambour. Jan psalmodie son texte plus qu'il ne le dit, prélude à "TEQ", d'esprit très Arvo Pärt, où le silence sculpte le moindre geste musical. C'est une musique que les musiciens eux-mêmes écoutent, déjà, pour nous livrer leurs découvertes, leurs avancées patientes...Femmes, hommes pressés, vous serez agacés...à moins qu'enfin ces compositions organiques ne vous touchent, ne vous troublent par leur entêtement à débusquer la lumière au détour des ombres. Écoutez "MUO", une pièce prise par le tumulte en son centre, soulevée de l'intérieur sous les envolées acérées du violon, pièce proprement tellurique d'une incroyable force contenue résorbée dans des trainées d'une indicible douceur...Même surgissement dans le très long "WJU" illuminé par le flux pianistique de la seconde moitié, strumming crescendo accompagné par un violon en vrille, c'est d'une puissance sidérante...tout vibre, pulse, dans un fracas formidable, magnifique qui suffirait à écarter les critiques distraites pressées de parler de musique (trop) calme ! 

   Un très beau double cd d'une musique qu'on pourrait qualifier à la fois de néo-classique, ambiante, deux étiquettes insuffisantes de toute façon pour rendre compte de ce parcours exigeant... et si gratifiant lorsqu'on se livre à elle comme elle se livre à nous, dans l'oubli du monde, dans les retrouvailles avec l'essentiel.

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Paru en 2012 chez Denovali Records / 2 cds / 10 titres  / 83 minutes environ

Pour aller plus loin

- le blog de Greg Haines

- la page de Denovali Records consacrée à l'Ensemble

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Photographie © Dionys Della Luce (cliquez sur la photo pour l'agrandir)

Photographie © Dionys Della Luce (cliquez sur la photo pour l'agrandir)

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 juin 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 15 Avril 2013

Svarte Greiner - Black Tie

Black Tie est le premier album de Svarte Greiner — qui a par ailleurs enregistré une bonne dizaine d'albums sous différentes formes depuis 2006 — , alias du projet solo d'Erik K. Skodvin, musicien norvégien, sur son propre label Miasmah Recordings. Conçu au départ comme la bande son pour une installation de l'artiste norvégienne Marit Følstad, le disque s'insère parfaitement dans les sombres perspectives de son catalogue.

  Deux plages d'un peu plus de vingt minutes chacune pour la version envoyée à la presse (apparemment un titre supplémentaire pour le disque à paraître fin avril).

   La première, au titre éponyme, est une longue méditation pour violoncelle, cordes et sons électroniques d'ambiance. Le violoncelle est utilisé pizzicato dans les graves, au premier plan, pour rythmer implacablement, tranquillement, le morceau, tandis que les cordes et autres sons créent un arrière-plan mouvant. De ce rapport entre statisme hiératique et dynamisme insaisissable naît une belle tension dans toute la première moitié, tension finissant diminuendo, relayée par une phase d'indifférenciation, le violoncelle se fondant dans la toile fond, réduit à des grattements, chuintements, tandis que surgissent des déflagrations, démultipliées par des échos, réverbérations dans une atmosphère raréfiée. D'autres cordes viennent fulgurer en longues traînées incandescentes qui s'entrecroisent avec les décharges régulières. C'est superbe, hanté, sculpté, avec une fin surprenante : retour du violoncelle percussif, en frappes plus troubles, quasi sépulcrales avec les résonances étirées, ces liaisons noires qui ont sans doute amené le titre.

   Le deuxième titre, "White noise", n'imaginez pas qu'il rayonne par sa blancheur...Le bruit blanc est un terme qui désigne « un processus aléatoire dans lequel la densité spectrale de puissance est la même pour toutes les fréquences » (dixit Wikip.) En somme, un processus d'écrêtage, de tassement qui produit au départ un bourdonnement, des drones oscillant légèrement sur un fond réduit à un souffle. On ne peut plus sombre, l'impression d'être enfermé dans un lieu saturé de sons très graves qui s'infiltrent au fond de vous. Là-dessus, car sinon ce serait...infernal, viennent se superposer plusieurs niveaux de sons plus aigus, comme des plaintes lointaines striant l'espace, cherchant à atteindre un ciel inaccessible, animées d'une énergie concentrée. On en est à sept minutes. Le bourdonnement cesse, les cordes continuent, leur mouvement se fait courbe, elles-mêmes génèrent un autre bruit blanc, vrille lancinante crescendo, épaissie par le retour des drones initiaux : longue stase decrescendo, puis triomphe de sons amorphes, millions de fourmis agglutinées, marche au supplice, escalade implacable, assourdissante clameur soutenue par un battement sourd et puissant qui scande seul les derniers instants de son halètement inhumain.

   Une musique sans concession pour un voyage dans la beauté trouble des espaces intérieurs ou de mondes dont l'homme est absent. Ambiante, en partie électronique, elle est aussi abstraite, en un sens, mais pour le meilleur ! Svarte Greiner / Erik K. Skodvin, un compositeur dont il sera question dans ces colonnes à nouveau très bientôt...

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À paraître fin avril 2013 chez Miasmah recordings / 3 titres / plus de 45 minutes..?

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :
 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 juin 2021)

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Publié le 19 Février 2013

Piiptsjilling, la langue musique

   En 2008, la collaboration entre Machinefabriek (guitare, effets, ordinateur portable) et Jan Kleefstra (textes et voix), assistés de Mariska Baars (guitare et voix) et de Romke Kleefstra à la guitare, était parue sous le titre Piiptsjilling, depuis devenu le nom de leur groupe, nous en reparlerons.

  Retour à la source, d'abord, à ce disque atypique constitué d'un seul long titre de plus de trente minutes qui associe les poèmes en frison de Jan Kleefstra et la musique de Rutger Zuydervelt, musicien que je retrouve associé à bien des expériences passionnantes de ces dernières années, que l'on songe à ses magnifiques collaborations avec Peter Broderick notamment.

   "piiptsjilling", c'est le nom frison d'une sorte de sarcelle. Jan lit ses poèmes d'une belle voix calme, des poèmes que l'on peut suivre grâce au livret trilingue (frison / néerlandais / anglais), sur un fond sonore composé de boucles de guitare, de drones et de longues traînes sonores : c'est une mer brumeuse recouverte d'un ciel impalpable se fondant en elle ; la terre n'existe qu'à l'état de lignes à demi dissoutes. Dans cette fusion des éléments adviennent des objets célestes improbables en vrillant l'espace de leurs turbulences lentes obscures. Battements, micro crépitements, nappes d'orgue râpeuses, guitares lumineuses, tissent une ambiance introspective d'une grande beauté simple. On marche sur la mer ou dans le ciel, les pieds dans la poudre des polders. Seule la lumière trouble, chargée de particules vaporisées, existe, encore est-ce à peine. La musique n'est peut-être après tout que celle des vieux microsillons dont les craquements se font entendre sur la fin de cette composition qui n'en finit pas d'apparaître-disparaître. La trame du temps s'est perdue dans la pâte phénoménale. Une expérience musicale fascinante, conduite de main de maître par un Rutger Zuydervelt au meilleur !

   Voici le premier poème de Jan :

 

Hast nachts de see sjoen
bist dyn libben lang ûnderweis
nei frjemde grûn

 

dreamst oer lytse weagen

 

yn it slimste gefal skynt de sinne
ast it bloed út dyn eagen triuwst

 

kinst yn myn hân sliepe
bist wol faker foar
de kriich weikrûpt

 

it bloed al op de lippen

 

earne de rûs fan see boppe dyn holle
as de dei noch ien kear wekker wurdt

 

krijst dyn eagen net mear ticht
dyn mûle net mear iepen

/

You've seen the sea at night

you've been heading your whole life

toward foreign soil

 

you dream of gentle waves

 

in the worst case the sun will shine

when you push the blood from your eyes

 

you can sleep in my hand

you've slunk away from

more than one battle

 

your lips already bloodied

 

somewhere the slap of the sea above your head

as the day awakens one more time

 

your eyes will no longer shut

your mouth no longer open

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Paru chez Onomatopee en 2008 / 1 titre / 32 minutes environ

Pour aller plus loin

- le blog de Romke Kleefstra, qui présente l'actualité musicale liée aux deux frères, où l'on retrouve bien des musiciens de ces pages...

- ma chronique de Weerzien d' Anne Chris Bakker

- une vidéo de Johan van Aken pour l'album, présentée au Frisian Film Festival de 2009 :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 juin 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 11 Février 2013

Greg Haines, l'évidence du sublime.

    Greg Haines, musicien anglais né dans les années 80, vit à Berlin depuis 2008. C'est dans cette ville qu'il a fait la connaissance de Nils Frahm, qui lui a prêté main forte pour l'enregistrement de son second long opus, Until the point of Hushed Support, paru en 2010 chez sonic pieces. L'album a été enregistré dans la Grunewaldkirche - ce qui devrait vous ramener à  Vorleben, chroniqué voici peu. La particularité de son parcours est d'avoir associé très tôt à ses études de piano et violoncelle un goût prononcé pour les sons les plus divers et des textures qu'il collectionne pour les fondre dans ses compositions. Sa musique est donc électro-acoustique, mais l'étiquette prête à confusion : loin d'écrire des pièces absconses, en cela inspiré par les musiciens qui l'ont guidé - en premier lieu Arvo Pärt, mais aussi, nettement plus secondairement à mon oreille, Philip Glass ou Gavin Bryars, il se situe dans une mouvance néo-classique au sens le plus noble du terme, indifférent aux querelles de chapelle.

Until the point of Hushed Support est la rencontre entre huit instrumentistes, une vocaliste et des sons électroniques : là est son indéniable modernité. Pour le reste, son œuvre est d'inspiration quasi mystique, comme l'indiquent les titres des pièces. L'écriture est très marquée par l'influence d'Arvo : lignes amples et simples, crescendos parfois fulgurants, rôle fondamental de l'orgue d'église qui lui donne son allure majestueuse. Percussions parcimonieuses mais puissamment dramatiques, unissons et canons, cette impression d'élans vers le ciel, souvent troués  par des moments méditatifs, tout cela forge une musique à la fois forte, belle, et intériorisée : c'est une âme qui s'épanche dans ce chant fragile surgi entre deux lignes brouillées. Qu'est-ce que "Marc's descent", si ce ne sont les efforts successifs d'un être qui, tout au long de sa chute, aspire à la remontée, cherche à inverser le mouvement, tournoyant dans un mouvement bouleversant, parfois à demi vaporisé dans une extase ineffable ? "In the event of a Sudden Loss" est le prolongement évident du précédent : la pièce s'ouvre par quelques minutes de suspension envahies par des sons intrigants, mais on entend des cloches, un gong, une voix s'élève à l'arrière-plan. La perte est un événement fondateur ( à noter ma lecture d'affilée des titres indiqués sur la pochette : Marc's descent / In the event of a Sudden Lost / Until the point of Least resistance) qui impulse une énergie dont la composition déborde : immense reconquête, ivresse de l'aimé qui saisit l'occasion de sa chute pour chanter des louanges grandioses avant de se fondre avec humilité dans le décor environnant, avec ces pianos transparents sertis de sons mystérieux decrescendo. Le dernier titre poursuit quelque chose qui l'apparente à The Vanishing Point (jusque dans les titres) de Under the Snow, mais avec des moyens instrumentaux hors de proportion : cordes somptueuses, tintinnabulement des choches diverses, ruptures et rejaillissements, ralentis d'une suavité confondante, du Arvo Pärt converti à l'arsenal des musiciens d'aujourd'hui (je n'insinue nullement qu'Arvo soit un musicien d'hier, il est inactuel...) J'adore cette longue recherche du point de moindre résistance, avec ces moments de suspension de tout quand nous écoutons les cloches si doucement carillonner, avant l'ultime poussée du saxophone notamment, comme un écho déformé des trompettes bibliques. Un album essentiel...

Greg Haines, l'évidence du sublime.

        Paru en 2012 chez Preservation RecordsDigressions est le troisième album de ce jeune musicien prodige. Certains critiques ne sont pas tendres avec cet opus qui pourtant, à défaut d'étonner (? Pourquoi l'étonnement serait-il d'ailleurs un critère d'appréciation artistique ? Je referme la parenthèse), poursuit assez logiquement une trajectoire vraiment originale. Enregistré à Berlin par Dustin O'Halloran, il affronte l'écriture exigeante pour un ensemble de chambre assez étoffé. Placé sous les auspices (??) du moine bénédictin Pellegrino "Ernetti", également musicologue et exorciste, puis de "Caden Cotard", metteur en scène aspirant à créer une œuvre d'une intégrité absolue (c'est Wikipédia qui le dit), la même veine nettement mystique s'y fait jour et j'entends dans ce dernier titre une avancée vers l'impalpable qui me propulse du côté d'un John Luther Adams, le meilleur, celui de For Lou Harrison. Je ne sais pas s'ils se connaissent. "183 Times" (Vraiment ? Je n'ai pas compté..) est ponctué par le piano faisant office de percussion à partir d'une seule note plus ou moins forte, prolongée d'harmoniques, tandis que le violon survole l'ensemble d'un vol lyrique presque langoureux : c'est simple, et très beau, je m'en contente, j'y entends presque du Pink Floyd (mais quel titre ??), c'est de plus en plus net au fil de l'écoute. "Azure" commence par de légers battements percussifs, un rituel indien peut-être (mon imagination...), peu à peu étoffés, plus distincts, auxquels viennent se mêler d'autres instruments dans un brouillard instrumental serti de saillies lumineuses : très...étonnant, justement. Magnifique fragilité, textures diaprées, frémissements : et on ferait la fine bouche ? C'est parfait dans son genre, cet état de grâce translucide qui se cristallise en passages pulsants sur la fin, avec une montée en solennité impressionnante suivie d'une brutale retombée loin de l'azur inaccessible. "Nuestro Pueblo" commence avec un piano voilé, hésitant, comme certains morceaux de Peter Broderick (qui le soutient aussi activement) : un chant se cherche sur un fond immense, nuages, nébuleuses, des instruments très loin, puis les textures se rapprochent, distordues, autour du piano balbutiant, assailli de toutes parts dirait-on, mais que rien ne distrait de sa recherche, imperturbable et seul au milieu d'une tourmente magnifique et poignante, superbe évocation de la destinée humaine. Tout à fait digne du précédent !!

   Greg Haines écrit indéniablement une des plus belles musiques qui soient.

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Until the point of Hushed Support : paru chez sonic pieces en 2010 / 4 titres / 48 minutes environ

Digressions : paru en 2012 chez Preservation Records / 5 titres / 55 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site personnel de Greg Haines. (avec pas mal de choses en écoute si vous cliquez sur "Listen")

- albums en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 mai 2021)

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Publié le 28 Janvier 2013

Anne Chris Bakker - Weerzien

   J'ai chroniqué voici peu l'album Mort aux vaches de Peter Broderick et Rutger Zuydervelt (alias Machinefabriek) : on y rencontrait Jan Kleefstra, sa voix et ses poèmes en frison, qui, avec son frère Jan, crée un univers dont je reparlerai. Or, les deux frères se sont produits avec Anne Chris Makker, ils ont réalisé ensemble deux disques. Anne Chris signe son premier album avec Weerzien.

   Un seul long titre de presque une demi-heure, fruit de quatre années de recherches sonores, constitue à lui seul l'album...et suffit à le justifier. Utilisant un archet de violon sur une guitare pour en tirer drones et sons étirés qui s'arrachent en frottis lumineux, il construit un univers à la fois dense et flottant, travaillé par de lents surgissements plongés dans une texture feuilletée obtenue par son ordinateur portable, quelques effets et boucles. Il en résulte une musique aux frontières de l'électroacoustique, des musiques ambiantes et minimales. Surtout, le disque est fascinant parce que l'on sent une orientation : quelque chose se passe dans cette musique. Les balbutiements initiaux sur la guitare préludent à toute une série d'avènements mystérieux, d'immatérielles envolées calmes. Se forme une nébuleuse parcourue de lignes électriques, d'éléments d'un chant de particules en suspension. J'ai plusieurs fois pensé à Guillaume Gargaud en écoutant les premières minutes, mais en plus intériorisé peut-être, avec une subtile intrication de textures glissées semi-transparentes : une vie imperceptible anime ce continuum qui ne cesse d'émettre, de rayonner, parce que, comme sur la couverture, il se craquèle, se fendille pour livrer passage à une matière antérieure, recouverte depuis tant de siècles par des alluvions accumulés. Dès lors, toute la masse se vaporise dans un chant immense qui enveloppe la croûte disloquée d'un brouillard de drones se coagulant en une nappe d'orgue quasi immobile, et surgit dans une envoûtante épiphanie l'ample respiration du monde enfoui. C'est d'une indicible beauté, incrusté de chœurs diaphanes, ciselé par quelques motifs de piano ou de claviers glauques. Quelques craquements signalent une présence discrète : "weerzien" signifie "revoir, rencontrer à nouveau, rejoindre". Une invitation à revoir, rejoindre "ce qui était toujours là" comme l'écrit lui-même Anne Chris, mais qu'on ne savait plus entendre. Une pièce absolument magnifique !

Paru en septembre 2012 chez Somehow Recordings / 1 titre / 28 minutes environ

   Je lui associe une découverte récente, celle de Sky Pape, artiste new-yorkaise dont j'aime beaucoup le travail : son univers me paraît proche de celui d'Anne Chris Bakker. Eau et encre Sumi sur papier kozo fabriqué à la main :

Anne Chris Bakker - Weerzien

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Pour aller plus loin

Sky Pape, encore : encre Sumi sur papier fabriqué à la main.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Anne Chris Bakker - Weerzien

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mai 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques