Eve Beglarian / Julia Wolfe : la musique en liberté !

Publié le 15 Mars 2008

Eva Beglarian et Julia WolfeEva Beglarian et Julia Wolfe

Eva Beglarian et Julia Wolfe

   Deux immenses compositrices à l'honneur. J'ai déjà présenté Eve Beglarian (cf. article du 31 janvier 2008), mais je voulais revenir sur Tell the birds, disque inépuisable, magnifique, qui rassemble six pièces écrites entre 1994 et 2004. Landscaping fot privacy associe la lecture d'un poème de Linda Norton à un accompagnement au piano et aux sons d'origine électronique : Eve est une formidable diseuse de textes et une instrumentiste accomplie, qui sert le texte sans le redoubler. Le résultat est tout simplement éblouissant. FlamingO, pièce de plus d'un quart d'heure qui clôt l'album, la montre en orchestratrice ambitieuse et imprévue. L'auditeur est soumis à rude épreuve. On a d'abord l'impression d'une cacophonie, ponctuée de respirations rauques. On est sur la corde raide, au bord du chaos, fasciné en même temps par la matière orchestrale en ébullition, travaillée par des courants souterrains comme une pâte levée. Tout se casse alors, les respirations occupent le devant de la scène, syncopées, grinçantes, parodie improbable et non dénuée d'humour de halètements amoureux, grotesques et distordus. L'orchestre s'enfle à nouveau, tout en discordances et en coassements, pour éructer à grand peine ce qu'il recelait depuis le début, un grand thème lyrique, chaleureux, puissant : pièce exemplaire sur la naissance de l'harmonie, l'ordonnancement du chaos. Tout le disque est d'ailleurs une réflexion sur la naissance du monde et sur les origines de la musique. Non, les grands compositeurs ne sont pas seulement des hommes, voici Eve..., ci-dessous dans une vidéo qui montre, à la fin, son travail avec des musiciens persans classiques sur un projet a priori non enregistré en liaison avec The Los Angeles Master Chorale, dont le Directeur intervient en premier, avant qu'elle ne présente son l'œuvre.
Eve Beglarian / Julia Wolfe : la musique en liberté !

  Et voici Julia Wolfe, l'une des cofondatrices, avec David Lang et Michael Gordon de l'ensemble Bang on a Can All Stars, née en 1958 comme Eve Beglarian. Auteur d'une oeuvre abondante, mais dispersée, peu représentée sur disques, elle a écrit des quatuors à cordes heureusement disponibles sur Cantaloupe, label créé pour l'ensemble et tous les compositeurs novateurs qui refusent d'enfermer leurs oreilles dans des secteurs verrouillés par le dogmatisme et les préjugés. Elle s'intéresse aussi bien à Beethoven qu'à Led Zeppelin ou aux musiques traditionnelles, ce qui s'entend dans son écriture des quatuors. Big Deep, interprété par le quatuor Ethel, est une oeuvre massive, râpeuse, tout en brisures, pas si éloignée de l'esprit de la musique industrielle, animée d'un dynamisme ravageur dans le crescendo frénétique de la seconde moitié, avant de concéder quelques accents chantants et des glissendi plus apaisés vite repris dans la tourmente finale. Four Marys, interprété par le Cassatt String Quartet, est lui du côté des courbures enchevêtrées, reprises et prolongées, scandées par des coups d'archets, des pizzicati : on pourrait penser par moments au travail si étonnant de Lois V. Vierk, dont il faudra bien que je vous parle un jour. Le quatuor  s'alentit parfois en graves introspections, s'ouvre sur un lamento élégiaque d'une bouleversante beauté, retenue, dans un lent tournoiement très doux, diminuendo. Un sommet !

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 9 août 2020)

Rédigé par Dionys

Publié dans #David Lang - Bang On a Can & alentours

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