Death Ambient : "Drunken Forest", le son inouï des abysses.
Publié le 5 Septembre 2009
J'ai failli passer à côté d'un disque essentiel, paru en 2007, où l'on retrouve Fred Frith, sa guitare électrique et son goût des expériences musicales, en compagnie d'Ikue Mori aux machines percussives et à l'ordinateur portable, et de Kato Hideki à la guitare basse et électrique, mais aussi au banjo, à l'ukulele, au violon, à la mandoline, aux machines, dans ce trio extraordinaire fondé en 1995 par les deux derniers, Death Ambient. Trois disques en douze ans : le premier en 1995, avec comme titre le nom du trio, Synaesthesia en 1995, et Drunken Forest en 2007, tous les trois sur le label de John Zorn, Tzadik. N'y allons pas par quatre chemins. Drunken Forest est un album magistral de bout en bout, parfaitement abouti. La symbiose entre les musiciens est totale, les percussions de Jim Pugliese, invité pour le disque, s'intégrant sans problème à l'univers musical de ces créateurs inspirés. Les idées sonores fourmillent, agencées avec une intelligence rare pour produire une musique expérimentale ambiante d'une densité extraordinaire. Tout un monde englouti, suggéré par le titre de l'album et ceux de certains morceaux, comme "Lake Chad", "Green house", "Yellow Rain", "River Yigris", surgit pour le plus grand plaisir de nos oreilles. De nouveaux territoires sont sans cesse convoqués, nous voilà dans une "Dead zone" ou une "Coral Necropolis". Textures liquides, minérales, atmosphères étranges et belles sont au rendez-vous d'un disque qui, tout en étant écoutable d'emblée -ce qui est loin d'être le cas de certaines bouillies expérimentales, est saisissant, inépuisable. La guitare de Fred est fulgurante par brèves irruptions, d'une splendeur brûlée dans les lenteurs, Ikue tisse des plans à la fois aérés et complexes, tandis que Kato pose ses instruments acoustiques divers comme des traînées de joyaux sur les fumerolles de paysages oniriques en perpétuelle métamorphose. Le titre éponyme est d'une beauté presque tactile, flûte puis violon éthérés survolant un sous-bassement percussif haché de guitare incisive et d'autres accidents sonores, froissements, orages souterrains, rugissements électriques en crescendo de graves. Pourquoi "tactile", adjectif surgi à la frappe ? Cet effet vient sans doute du caractère sculptural et visionnaire de la musique. Jamais le terme de matériau sonore n'a mieux convenu qu'ici, sans pour autant que le résutat soit une quelconque musique simplement concrète. "Drunken Forest" est un chef d'œuvre de musique concrète poétique élaborée par des artistes accomplis.
Paru en juin 2007 chez Tzadik. 11 titres pour environ 54 minutes.
Pour aller plus loin
- une chronique en anglais (ici).
- Un extrait en écoute, je n'ai pas identifié de quel disque il provient, mais les trois comparses sont bien là :
Paru en juin 2007 chez Tzadik. 11 titres pour environ 54 minutes.
Pour aller plus loin
- une chronique en anglais (ici).
- Un extrait en écoute, je n'ai pas identifié de quel disque il provient, mais les trois comparses sont bien là :
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 janvier 2021)