Material Object - Telepath
Publié le 4 Avril 2023
Material Object est un des alias du producteur et artiste sonore allemand Andre Ruello, installé en Australie, qui a déjà publié nombre d'albums solo ou en collaboration. Son dernier album, Telepath, résulte d'une seule cession improvisée avec un violoniste, mêlant acoustique et électronique (dominante...). Il marque un certain éloignement de ses premiers enregistrements ambiants (pas une rupture, voir l'étonnant bonus...).
Le violon, dans "Enter" occupe l'arrière-plan : il est la nostalgie, le souvenir d'ondoiements langoureux, comme le bourdon continu d'un premier plan constitué de sons discontinus. Des boucles lancinantes, superposées, d'une sorte de guitare électronique, un clavier aux sons secs, claquants, pas très loin de la cithare parfois. Alors que le violon glisse et se tord, ce premier plan minimaliste synthétique est puissamment dynamique, jouant d'un futurisme hypnotique. Très beau début, qui a accroché tout de suite mon attention, avec une pulsation très reichienne dans sa seconde moitié, peut-être des souvenirs du Drumming de Steve. Le court "Glyph" est un rébus électronique de sons concaténés, un interlude, avant le troisième titre, nettement plus long (plus de quinze minutes). "Hyphae", conformément à son titre, a une tournure filamenteuse. C'est d'abord une ambiante au lent développement, mais le mycelium électronique fabrique un tissu vif, piqueté de sons rapides, et de longues rafales éblouissantes dessinent une efflorescence euphorisante. De fait, voilà une splendide transe, dans laquelle on retrouve le violon, métamorphosé en acteur malgré lui de cette fresque étourdissante.
Selon le principe d'alternance entre titre court et titre long, le quatrième, "Sqqr", au titre futuriste à plaisir (clin d'œil à des mondes déviants ?) est une courte fanfare, ritournelle ensorcelante qu'on imagine fabriquée par des gnomes affreux au coin de profondes forêts...où vit et git "Trsform", monstre incapable de parler autrement que par sons inarticulés. L'atmosphère est pesante, épaisse, celle des cauchemars : grincements, sons tordus, tronqués, cloques électroniques inquiétantes, saturations étranglées, une bande son de film d'épouvante, de zombies... Nouvel interlude de deux minutes environ, "Bllp"" (qui fait penser à bulp...) est de la même veine un peu grotesque, grouillant d'objets sonores improbables qui ne sont pas sans évoquer l'étrange image de couverture. "x6x", grâce à ses six minutes, voudrait s'envoler à coups d'ailes d'oiseaux préhistoriques mutants, seulement il ne vole pas haut, il essaie, il est si lourlaud, cet astronef bardé de plaques de plomb. Une coda pleine d'échos réverbérants est son chant du cygne, si j'ose dire.
"Thermo" rappelle "Enter", en version ultra condensée, trouée, très énigmatique, voire parodique, un aspect à ne pas oublier dans ce disque. Une version détruite, explosée par des chuintements, des gargouillis et des bafouillements. Très curieux ! Le long "Exit", plus de onze minutes, rejoue certains thèmes entendus en les exagérant (le violon de "Enter", notamment), je ne crois pas que ce soit par panne d'inspiration. Est-ce une volonté de dépassement, de prendre de l'essor, enfin, après les sortilèges, les pièges ? Ou la retombée fatale dans une atmosphère goyesque, plutôt, plus gluante, insidieuse.
Le disque d'un imaginaire sonore fantastique foisonnant de bizarreries, un monde de truculences électroniques pour servir de tombeau au pauvre violon désenchanté.
Meilleurs titres : 1) "Enter" (le 1) et "Hyphae" (le 3)
2) "Trsform" (le 5), "x6x" (le 7) et "Exit" (le 9)
Paru fin mars aux Editions Mego / 9 plages / 57 minutes environ
Pour aller plus loin
- disque en écoute et en vente sur bandcamp :
[ à noter que les acheteurs du disque ont un bonus de plus de cinquante cinq minutes, intitulé "Auxiliary Apparition", vaste dérive dans cet infra-monde entre contes de fées et horreurs de la nuit ! Material Object y donne toute la mesure de son imaginaire sonore. ]