Leo Ornstein, "Fantasy and metaphor" : le piano, instrument de transport(s)!
Publié le 21 Janvier 2009
La trajectoire de Leo Ornstein, né en 1893 et mort en 2002 - vous avez bien lu, il est mort à l'âge de 108 ans, est étonnante. Pianiste prodige d'origine ukrainienne, formé au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, il est contraint d'émigrer avec sa famille aux États-Unis en 1906 pour fuir les pogroms. Installé à New-York, il est tout de suite accepté à l'Institute of Musical Art, école qui deviendra la prestigieuse Juilliard School. En 1911, il donne ses premiers concerts. Suivent les premiers enregistrements, mais le jeune Leo se passionne pour de nouveaux mondes sonores, affectionne dissonances et rythmes complexes. Le voilà futuriste, d'avant-garde, stupéfiant son auditoire par des compositions qui dérangent toutes les habitudes d'écoute. Il est au départ copieusement sifflé, déclenche presque des émeutes. On l'admire aussi : sa virtuosité fait pâlir nombre d'interprètes, et certains le considèrent comme un remarquable compositeur. Grâce à lui, le public américain découvre Schoenberg, Scriabine, Debussy, Ravel, Stravinski. Il attire les foules, sa gloire est au sommet entre 1915 et 1920. Puis il abandonne les concerts, disparaît, se retire avec sa femme, enseigne. Il ne cessera pas de composer, surtout pour le piano, avec un regain créateur dans les années soixante-dix et quatre-vingt. On l'oublie beaucoup, on lui reproche de ne plus être à l'avant-garde, car il a changé. Il ne se soucie plus des modes, mélange les styles, passant de la tonalité à l'atonalité, d'un lyrisme "ravélien" aux délices d'une virtuosité débridée. Lorsque Sarah Cahill lui rend visite en novembre 2000, il est encore lucide. Il voudrait mourir pour suivre sa femme, décédée après avoir été son épouse tant aimée pendant 67 ans, qui a inlassablement noté sa musique, transcrit ses improvisations. Mais il n'est pas si facile de mourir, constate-t-il. À sa mort en 2002, il laisse plus de 1800 pages de musique pour piano...
Le beau titre donné à ce premier échantillon de compositions de Leo Orstein reflète bien le caractère indépendant de cet homme indifférent à la célébrité, soucieux de suivre sa voie : des fantaisies, certaines assez proches de l'univers de Ravel qu'il aimait tant, et des "métaphores", terme qu'il a indiqué à son fils Severo qui lui demandait comment nommer des compositions variées n'appartenant à aucun cycle. Le choix des pièces revient d'ailleurs à Severo, qui propose un site consacré à son père. Des quinze compositions rassemblées, treize sont inédites. Toutes sont empreintes d'un bonheur harmonique constant. La musique coule d'une source pure et libre, avec une grande aisance, lyrique sans mièvrerie ou grandiloquence. Fantaisies et métaphores enchantent, distillent des sortilèges hors du temps. Mais, me direz-vous, la modernité, l'expérimentation ? Ornstein sait oublier ces diktats pour mieux nous donner à entendre son flux intérieur, pour notre plus grand plaisir. On ne cesse plus de revenir à ces pièces à la grâce fluide, qui transportent comme de vraies métaphores qu'elles sont en effet.
Paru en 2008 chez New Albion Recor / 15 plages / 68 minutes environ
Pour aller plus loin :
- le site officiel de Leo Ornstein, proposé par son fils Severo.
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 8 décembre 2020)