Bruit et musiques électroniques : l'anthologie Sub Rosa (1)
Publié le 28 Mars 2009
"an anthology of noise & electronic music/ first a-chronology 1921-2001" commence aux origines de la musique électronique avec une des nombreuses curiosités de cette entreprise. On y entend sans doute le premier morceau composé pour une machine à bruits par l'italien Antonio Russolo, frère de Luigi Russolo, compositeur et théoricien auquel on doit dès 1913 le manifeste "L'Art des bruits", qui se joignit au mouvement futuriste de Marinetti. La machine de Luigi portait le poétique nom d'intonarumori. Il donna en 1921 un concert à Paris recourant à 27 de ces instruments. "Corale", courte pièce de moins de deux minutes, est comme un au revoir mélancolique aux fastes orchestraux d'antan. Dès le titre suivant, les bases de la musique concrète sont posées en 1929-30 par Walter Ruttmann dans "Weekend", étonnant collage de bruits et de fragments de dialogues sans images de ce cinéaste d'avant-garde qui fit ensuite partie des services de propagande nazie. Le parcours se poursuit avec les pionniers des années 50, Pierre Schaeffer et Henri Pousseur, le premier livrant de véritables poèmes sonores avec ses "études de bruits", ici la très élaborée "Etude violette" de 1948, le second parmi les premières compositions entièrement électroniques, notamment ce "Scambi" de 1957, accompagnement sonore idéal pour un tableau de Tanguy ou de Miro. On passe ensuite par Gordon Mumma, -dont j'ai chroniqué l'oeuvre pour piano, qui nous plonge avec "Dresden Interleaf 13 february 1945" dans un univers industriel inquiétant, ponctué de silences imprévisibles.
Puis vient un fragment retrouvé d'une improvisation d'Angus MacLise, Tony Conrad et John Cale, "Trance#2" , témoin de ces longues nuits folles des années 60, dans la mouvance de La Monte Young : électronique inspirée à partir d'orgue et de percusssions métalliques, l'un des joyaux du premier disque. Mais je m'aperçois que me voici pris au piège du disque, que je suis parti pour tout passer en revue ? Cette anthologie bouscule toutes les idées reçues sur ce genre de musique, beaucoup plus varié qu'on ne le pense. Je suis converti à l'abstraction, à la poésie bruitiste !! "Untitled#1", de Philip Jeck, Ottomo Yoshihide et Martin Tétreault, convoque toute une mémoire sonore avec une grande subtilité, tandis que "Oktober 24, 1992, Graz, Austria" du Survival Research Laboratories des américains Mark Pauline et Gerald Jupitter-Larsen (je n'invente pas, foudre et déformation en perspective...) nous soumet à un bombardement très réglé de sons déchaînés, bouillonnants et couinants comme dans un chaudron cosmique. On ne sera pas surpris de retrouver les allemands de Einsturznde Neubauten, mais conquis par un titre presque boy-scout, bruits d'ustensiles de cuisine amplifiés et modifiés dans un climat très apaisé, quasi planant., un très beau moment. Le premier cd se termine avec "Aspekt"(1966) de l'allemand Konrad Boehmer, l'une des musiques idéales possibles pour Les Oiseaux d'Alfred Hitchkock : crépitements, envols, nuées, dans une atmosphère sous haute tension...
Le disque 2 se concentre sur les années 50 à 2001, faisant se côtoyer John Cage et Sonic Youth, Yannis Xenakis et Paul D. Miller. Ce n'est pas l'un des moindres mérites de cette anthologie que d'effacer les clivages entre musique sérieuse ou savante et musiques électroniques nées des expériences de groupes pop. D'abord parce que les frontières n'existent pas, et l'on s'aperçoit de tout ce que les djs d'aujourd'hui doivent aux musiciens chercheurs, avant-gardistes que l'on croyait confinés dans leurs laboratoires acousmatiques. Ensuite, parce que les compositeurs de musique contemporaine sont beaucoup plus fantaisistes, iconoclastes, inventifs, extravagants que nombre de musiciens électro qui feraient bien de toute urgence d'écouter les incroyables univers sonores concoctés au fil des décennies. Le coréen Nam June Park est à l'aise dans un "Hommage à John Cage" de 1958-59 qui est déjà un fabuleux remix d'un des musiciens les plus imprévisibles du vingtième siècle. Quant à Edgar Varèse, cet ascète de la musique électronique, qui garda le silence pendant des années en attendant les progrès technologiques qui rendraient possibles la réalisation des sons qu'il désirait, il est représenté par son magnifique "Poème électronique" de 1957-8, émouvant et drôle, d'une finesse de composition imparable. L'autre sommet de ce deuxième disque est dû à Paul D.Miller, alias DJ Spooky That Subliminal Kid , mixeur hyper-talentueux comme un David Shea : les atmosphères se succèdent au long des huit minutes de "Bundle / Conduit 23", morceau fascinant, frémissant, qui mêle instruments acoustiques et sons électroniques dans une fresque dense, nourrie de fragments mélodiques splendidement retravaillés. Pour finir, un morceau de 30 minutes de Pauline Oliveros, "A little Noise in the System", précède le "One minute" de Ryoji Ikeda : une implacable progression électronique bruitiste générée par un Moog System avant la délicatesse fracassée du japonais...
Paru en 2005 chez Sub Rosa / 2 CD / 18 plages / 145 minutes environ
Pour aller plus loin :
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 décembre 2020)