Publié le 4 Novembre 2014

Salomé Leclerc - 27 fois l'aurore

Une chanteuse est née !

   Après Sous les arbres paru en 2012, 27 fois l'aurore signe une vraie naissance. Salomé Leclerc, jeune québécoise qui s'est produite à trois reprises aux Francofolies de Montréal avant même de sortir son premier album, affirme un tempérament, un talent d'auteur-compositeur, et puis une voix entre velours et écorchure qui, dans certaines chansons, fait irrésistiblement penser au grand Bertrand Cantat dans ses meilleurs moments (qu'elle ait chanté "Le vent nous portera" n'est pas un hasard !). Si le premier album a vite été étiqueté "folk", celui-ci défie les étiquettes. Pop-rock ? Sans doute, par la présence de la guitare électrique notamment et de la section rythmique. Chanson francophone ? Bien sûr, et comment ! Mais Salomé ne se laisse pas enfermer dans le format chanson et dans le souci du tube, même si elle sait très bien le faire, ayant le sens des mélodies évidentes. Chaque morceau est aéré par un passage instrumental qui la propulse ailleurs, la pose en musicienne plus qu'en simple auteur de chanson.

   "Arlon" a tout du tube, mais quel son, quelles paroles ! Basse profonde et pulsante, « Pendant ce temps / La neige est blanche / Les arbres parfois se penchent / Il y a toujours une éclaircie  / Du haut des toits de Paris / Il y aura toujours avant l'aurore / Un réverbère qui s'endort », c'est l'histoire d'une fuite vers le bout du monde « à marcher dans la noirceur ». Les synthétiseurs se déchaînent. Dommage que ce soit le seul titre à abuser de la répétition du refrain, car la fin est vraiment bien envoyée. "En dedans", c'est l'entrée véritable dans l'univers de Salomé, guitare sombre, batterie sèche, syncopes, « Ya la pluie qui coule à l'intérieur / Parce que ma vie est un bocal / Qui emprisonne les larmes // Pas d'église / Je prie à l'intérieur / parce que la vie est le vacarme / Que la foule réclame ». Superbe chanson écorchée, « qui retourne à la noirceur », encore elle, mais flamboyante, illuminée par un passage somptueux avec un dialogue entre basse, percussions et cuivres :  au-delà des paroles, la lumière de la seule guitare, soutenue par la basse sombre. "L'icône du naufrage" navigue sur fond soyeux de guitare envolée, d'orgue profond, de claviers cuivrés, avec le battement de la batterie. « Oui on s'est retrouvés derrière la façade / À chercher les draps qui nous servaient d'armure ». Encore une fois, la musique envahit le titre, on se laisse porter...jusqu'à la fin, nette, encore un point qui la distingue radicalement des faiseurs de chansonnettes fatiguées, sans idée ! 

   Incendie de langue sous la cendre des neiges intérieures

   Avec "Un bout de fil", j'ai su très vite que j'écrirais cet article. Un souffle, le piano calme, la voix émouvante, nue. « Ma route est le vertige / Fatiguée ». Tout un programme, « Sur le bord de l'abîme / J'arrêterai ». Un synthétiseur chuinte, le piano égrène ces quelques notes, avant la venue du brouillard. "Le Bon moment" paraîtra plus convenu au premier abord, mais voilà une belle section de cuivres, un brusque décrochement dans l'étrange, « le réel en suspens / effacer le néant / Que tourne le vent », les idées musicales se suivent pour le plus grand plaisir des oreilles. Salomé Leclerc transcende la chanson, dérive vers le pur poème sonore. Bref, elle compose de la musique, je vous le disais !!

   Plus évidemment rock dans les premières mesures, "Vers le sud" vire à la ballade bluezzy, pour « errer le temps qu'il faut / Poser son cœur au chaud ». Il est temps, car voici "Les Chemins de l'ombre", autre miracle de l'album, sa voix à la Bertrand Cantat, un phrasé extraordinaire. « Un autre cri, j'espère / Avant de perdre la voix / Avant de n'avoir rien d'autre à écouter / Que l'ennui au fond de nous qui garde sa volonté ». Orgue hammond (?), chœurs discrets, guitare et batterie, « Pour que la nuit garde son obscurité par défaut ». Je rends les armes, j'abdique, je m'incline devant cette beauté souveraine. Reste à "Attendre la fin", piano et xylophone, la voix fragile s'élève, le morceau s'amplifie, joue sur des échos tout en nous tenant par une rythmique intense : ne s'agit-il pas d'une superbe chanson...d'amour ? La musique prolonge les paroles jusqu'à une fin délicate.

   Le titre suivant, "Et si cette fois était la bonne", pourrait n'être qu'une bluette. Le piano électrique enveloppe le tout dans une ouate rêveuse pour dire « le besoin d'être ailleurs / marcher d'autres lieux / D'ailleurs il me semble / Qu'on ait tous les deux / Besoin d'avoir peur ». Plus loin, on retrouve « le besoin de noirceur », on glisse dans l'ailleurs musical, cordes et trombone, couleurs chaudes et troubles. Diantre, nous voilà "Devant les canons", l'heure est grave pour un « scénario écrit dans les détails ». La guitare électrique déchiquète le fond, la voix chavire et bouleverse, confession à mi-mots. Encore un titre magnifique ! « T'as pas de cœur / Tu règnes dans la brume / Et tu sens ma peur / T'en es fier j'présume ». Le plaisir d'entendre la langue française si bien maniée, si bien chantée, elle que tant de chanteurs français abandonnent pour ânonner un anglais insipide qui n'a jamais intéressé aucun anglophone (je rappelle la phrase de Brian Ferry : « Les Francophones devraient arrêter d'essayer de faire semblant de savoir chanter en anglais, ils n'ont jamais été crédibles aux yeux d'aucun Anglais. »). Encore...un chef d'œuvre de sensibilité, de musicalité. Un dernier petit tour, c'est "J'espère aussi que tu y seras", chanson dépouillée, guitare et voix, mais chœurs navrés à l'arrière-plan. Un au revoir sublime.

Salomé, tu n'as pas dansé

je ne suis pas tétrarque,

(ni Pétrarque !)

mais j'ai le cœur qui danse

après t'avoir écouté

tu m'embarques

avec toi le naufrage

est chemin de lumière sombre

je te suivrai plus loin encore

emmène-nous

suis ta voie

sans te soucier des genres

pour notre plus grand bonheur.

Paru en 2014 chez Les Disques Audiogramme/ 11 titres / 44 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site de Salomé

- clip "Arlon", bon titre, mais pas le meilleur n'oubliez pas. La vidéo n'a pas de véritable intérêt, à part la jolie figure de Salomé...Rien d'autre pour le moment à vous proposer.

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 août 2021)

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Publié le 24 Octobre 2014

   Après une éclipse de quelques années, le compositeur expérimental d'avant-garde, grand maître des échantillonneurs devant l'éternel, David Shea, réapparaît avec un album qui doit beaucoup à son nouveau pays. Installé en Australie où il s'est marié, l'américain, qui a gravité dans les sphères de John Zorn, publié quelques chefs d'œuvre sur les labels Sub Rosa et Tzadik, a glané des sons dans les forêts tropicales et un peu partout dans ce pays-continent qui l'inspire. Par ailleurs, il s'est plongé dans les musiques de Luc Ferrari et de Giacinto Scelsi et dans toutes les musiques rituelles liées à l'ancienne route de la soie. Rituals est au carrefour de ces trois voies, un disque exceptionnel qui transcende toutes les frontières, entre musiques traditionnelles ou contemporaines, acoustiques ou électroniques, orientales ou occidentales. David manie aussi bien échantillonneur, sons de terrain ou électroniques, chante, utilise bols chantants ou guimbarde. Il est rejoint sur certains titres par Lawrence English et Robin Rimbaud (alias Scanner) à l'électronique, Oren Ambarchi à la guitare, Joe Talia aux percussions et Girish Makwana aux tablas.

Pochette dépouillée, antichambre du vertige...

Pochette dépouillée, antichambre du vertige...

Le Sorcier de l'échantillonnage revient !

  Et il frappe où on ne l'attend pas forcément. Si le premier titre, "Ritual 32", commence avec un fond lourd de drones et de synthétiseurs, avec des voix échantillonnées et des cordes lointaines, l'ambiance nous plonge au cœur des musiques traditionnelles de méditation et de transe aussi bien que dans son univers dramatique et très coloré. Le piano numérique au son entre clavecin et dulcimer se taille la part belle. Voilà David parti dans une ballade contemplative : transparences étagées, mélodie dépouillée au lyrisme fragile. David n'avait-il pas signé le superbe Book of scenes pour piano en 2005 ? On dit qu'il prépare un autre disque de pièces pour piano... Une voix, la sienne, s'élève sur les notes éparses, les grappes étincelantes du piano. C'est la voix de gorge du chant laryngal, dit aussi harmonique ou diphonique, pratiqué dans la République de Touwa et repris parfois par Terry Riley, bien sûr par David Hykes qui s'en est fait une spécialité. Le morceau atteint sa véritable dimension avec l'entrée des bols chantants, piano percussif en fond, voix grave se résorbant dans les harmoniques. Moments magiques, extatiques, magnifiquement mis en espace par la prise de son et le matriçage de Lawrence English.

   "Emerald Garden" s'ouvre sur des frottements dans les hautes fréquences, rejoints par des ponctuations orchestrales, des stridulations d'insectes (véritables ?). L'atmosphère est celle des grandes fresques symphoniques contemporaines, saturée de mystère et d'enchantements multiples. On retrouve le grand coloriste, celui du premier Satyricon ou de Tryptich. L'orgue s'enfle au-dessus du chatoiement sonore, on croit entendre les fauves, les échos des grandes cérémonies cruelles. Ce jardin d'émeraude est un jardin saturé de sortilèges où se côtoient une faune invisible et l'électronique la plus intrigante. Une splendeur au casque (sans aussi, je vous rassure) !

   Le titre suivant, "Wandering in the Dandenongs", nous invite à une errance dans ce district australien proche de Melbourne, à la population très mélangée. Je suppose que c'est près des marais de la zone que David a enregistré bien des sons d'oiseaux, d'insectes, servant de fond sonore à cette pièce au départ tranquille. D'autres sons de rue tapissent le parcours, ponctué de sons de cloches. Un coup frappé sur un bol chantant, après deux minutes de promenade, marque le début d'un nouveau rituel fondé sur l'entrelacement des cris fous ou étranges des oiseaux et des harmoniques longues des bols, puis sur la pulsation puissante, orientale,  des flûtes, des vents et de percussions profondes comme des gongs. Après un retour au calme relatif des cris d'oiseaux et des seuls bols chantants, c'est le temps champêtre et cérémoniel des carillonnements des cloches, clochettes, dont les tintements croisent les résonances des bols. Klaxons, halètement d'une locomotive (?) confirment l'intrication du rural et de l'urbain. La frénésie éclate alors, menée par la guimbarde, rejointe par la ritournenelle pulsatoire antérieure. Nous ne savons plus où nous sommes, embarqués dans cette jubilation qui se résorbe dans le surgissement progressif de graves telluriques illuminés de multiples éclats aigus.

   "Fragments of Hafiz" fait entendre des fragments du grand poète persan, accompagnés d'une mise en scène sonore qui n'est pas sans évoquer les grandes cérémonies soufies, avec la flûte et les tambours. Une voix déformée reprend quelques fragments au cœur même de la pâte sonore, de plus en plus étrange, en allée vers des lointains saturés de lumières diffractées et de frôlements, soupirs électroniques. C'est le plus beau moment du morceau, avant le retour de la récitation grave et solennelle ainsi baignée d'une aura d'absolu en adéquation avec le message d'Hafiz (ou Hafez). Il est logique de poursuivre avec une "Meditation", électronique avec Lawrence English et Robin Rimbaud, mais parsemée de paillettes acoustiques. Le talent de David éclate dans cette sculpture sonore d'une extraordinaire finesse, dans laquelle il enchâsse des échantillons de voix sans doute liés à une cérémonie bouddhiste, un petit dialogue animé par des vagues mystérieuses de voix, des ponctuations infimes, des tourbillons lumineux. Quelque chose se passe, la musique est effort pour saisir le mystère.

   Entrez dans l'auberge du dragon vert ("Green Dragon Inn"). La vînâ et le piano, l'orient et l'occident, vous y convient. Ici tombent toutes les dualités, fondent les vieilles carapaces. Vous êtes dans l'antre du tonnerre, l'atelier de Vulcain, au centre du grand lotus. Les cordes frémissent, les tablas piaffent. La pièce est de plus en plus dense, saturée de souvenirs musicaux. Elle décolle avec l'orgue et l'envolée irrésistible des tablas, hantée de cris de possession, mêlant religions et rituels grâce à un liant électronique puissant et à la guitare électrique déchaînée d'Oren Ambarchi. Le volcan explose dans un jaillissement d'échantillons magistralement agencés. Rituel total, absolu qui signe le retour éblouissant de David Shea.

   Un disque formidable, foisonnant de beauté, rayonnant. MAGISTRAL !!!

Paru en 2014 chez Room40 / 6 titres / 74 minutes environ

Pour aller plus loin

- la page de Room40 consacrée à l'album.

- "Green Dragon Inn" en écoute :

- une page très intéressante sur le chant de gorge

- une vidéo à partir de "Meditation"

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 août 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques, #David Shea

Publié le 20 Octobre 2014

   Une sélection un peu plus fournie, dans les bacs de Radio Primitive. Côté rock, on aime l'ambiance moite des films noirs. Côté presque rap, on est vengeur, et j'applaudis à la pochette de Mascarade. Le rockeur Jack White se voit en bleu parmi les anges d'un cimetière. Il est pensif. Ferait-il tourner les tables ? Sa dulcinée lui manquerait-elle ? Je crois l'avoir retrouvée sur les glaces de la Moskova, sur le point de chanter "L'Internationale" avec Soviet Suprem.

   Puis j'ai été ému par Émilie Simon, presque "Mue": belle pochette et livret soigné, délicat et raffiné, à l'excès ? Faites bien défiler cette section...

Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
Du côté des pochettes (4)
En grand format, pour l'émotion...cliquez !!

En grand format, pour l'émotion...cliquez !!

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Du côté des pochettes

Publié le 14 Octobre 2014

Histoire d'un document retrouvé

   « Nous traquons l'élégance et la qualité »

   C'est un mystère, une énigme, autour d'un document retrouvé. Le texte est dit par plusieurs voix, accompagné d'une musique énigmatique plongeant l'auditeur dans une zone intermédiaire, entre rêve et réalité. Quelque part entre slam, chanson et musique d'ambiance, gentiment expérimentale. L'auteur du texte, Thomas Malésieux, est bibliothécaire à Montbéliard. Il dit avoir puisé dans les films d'Antonioni une source d'inspiration, mais cette piste n'est pas limitative pour ce cinéphile passionné. La musique, signée David Lavaysse, prend son temps, ciselée avec précaution pour envelopper le scénario dans un ailleurs indéfini. Cet album est hors du temps, produit artisanal d'une longue passion. Car il a fallu quatorze ans pour que le projet aboutisse ! Quatorze ans après la rencontre de Thomas et de David dans une file d'attente de Londres. « Transformer l'à-peu-près d'une soirée en veillée très prisée » donne le la de ce projet atypique et charmant. Loin des logiciels et des technologies ébouriffantes, voilà une équipe qui raconte et joue une histoire, avec des timbres de voix, des timbres d'instruments, en toute simplicité, comme on conte des contes à la veillée, justement. On est "en bonne compagnie", « dans la cour d'une demeure du siècle dernier / incognito et anonymes, en petit comité ». L'auditeur sera-t-il, lui ausssi, « tel l'explorateur en quête de l'unique orchidée » ? En y repensant, j'associerai volontiers cette expérience à celle que tentais ( et tente encore peut-être, mais je ne les suis plus) L'Ensemble rayé. Comme eux, ils n'ont pas la grosse tête, n'abandonnent pas notre langue pour soi-disant parler à tous (quelle bêtise !). L'album joue « cartes sur table » ses voix posées, sa guitare, sa batterie, ses claviers, ses petits bruitages, pour une bande son au « final énigmatique », proposant « Un carnet de souvenirs personnels. / Toute une mémoire de noms, de titres essentiels. ».

   C'est le deuxième album du label Quadrilab, installé à Montréal et à Marseille. Le premier rassemblait une série de titres de musiciens gravitant autour de Quadrivium radio, une radio originale qui diffusait à la fois de la musique expérimentale et des contenus scientifiques, qui n'émet plus, mais dont vous pouvez retrouver une sélection d'enregistrements sur son site. Sur ce premier disque, on retrouve une composition de Guillaume Gargaud, une atmosphère plutôt sombre, avec aussi le beau titre de Jull, "Les Ruines". Si vous êtes intéressé, il vous sera offert moyennant une participation aux frais de port au départ de Montréal (offre en bas de la page Quadrivium).

Paru en mai 2014 chez Quadrilab / 11 titres / 26 minutes environ

Pour aller plus loin

- la page que lui consacre la maison de production sonore 1fusé . L'édition du disque est due à l'excellent label indépendant Ici d'ailleurs, page en français, comme pour tout ce qui est ici, d'ailleurs, ce dont je me réjouis sans modération, na !!

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Cliquez pour agrandir !

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(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 août 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 9 Octobre 2014

   À chaque fois que je fouine dans les bacs des disques, je me dis qu'il y aurait là matière à une thèse sur l'art des pochettes, même si celles des cds sont moins grandes que celle des vinyls. Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans une telle étude, mais réactiver la catégorie "Du côté des pochettes". Du contenu musical, c'est entendu, je ne dirai rien, ou alors ce serait un article dans une des autres catégories. Je proposerai une sélection de pochettes : belles, inventives, drôles, kitsch, improbables, folles, étranges, selon l'humeur. L'inventaire émerveillé et malicieux d'un monde assez méconnu. Pour ce soir, en voici deux. J'ai tout de suite aimé le nom du groupe Les Ramoneurs de Menhirs : une façon drôle de dire qu'il s'agit de bousculer la tradition, d'où la juxtaposition de clichés bretons ( le champ de menhirs en arrière-plan, la bretonne avec sa coiffe au premier plan à gauche) et le profil d'une berbère, de quoi faire bondir les traditionalistes, outrés de voir la bretonne affublée d'un tapis berbère en guise de vêtement. Quant à Rodrigue, voici un sacré zèbre !

   Réjouissons-nous !

Du côté des pochettes (3)
Du côté des pochettes (3)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Du côté des pochettes

Publié le 3 Octobre 2014

Michel Banabila / Oene Van Geel : Music for viola and Electronics

   C'est une rencontre. Entre Michel Banabila, compositeur de la scène électronique expérimentale néerlandaise, et Oene Van Geel, altiste et compositeur improvisateur qui passe allègrement du jazz à la musique indienne, participe à de multiples formations. Ils se sont rencontrés pour le Cloud Ensemble, ont décidé d'aller plus loin, d'où ce disque. Absolument magnifique, envoûtant.

   Le premier titre, "Sinus en Snaar", commence par ce qui ressemble à des sirènes, mais des sirènes suaves - comment ne pas penser encore une fois à cet album extraordinaire qu'est Weather  de Michael Gordon ? -, l'alto fondu dans les sons électroniques. Notes tenues, longs glissandos, de discrètes percussions sur un fond de drones. Le temps s'étire. Tout flotte dans une indistinction sensuelle où l'on entend parfois comme une voix subliminale murmurer très vite une syllabe. Le temps s'enroule autour des claviers, des bruits ponctuent  cet étirement, puis tout s'enfle, l'alto se dégage, trace des lignes légères, l'effet de sirène recommence, l'espace sonore s'approfondit, se strie de strates superposées. Vers la fin de la pièce, les bruits se déchaînent moelleusement avant le silence.

   "Dondergond" joue de la rupture, plus dissonant, percussif, grondant sur une base de boucles bourgeonnantes. L'alto virevolte, tout se détraque sans que le fil harmonique se perde, entre jazz et musique industrielle. L'archet frotte, grince, une batterie (synthétique) s'énerve : stratégie du chaos (titre évitable selon moi, trop long pour son contenu) qui permet de mieux apprécier la troisième composition, "Echoes from Hadhramaut". Nous serions donc à l'est du Yemen, sur le golfe d'Aden. L'Orient, le rêve : claviers brumeux, nappes lointaines, l'alto qui se contorsionne comme un serpent, lève la tête et considère avec dédain les environs. Le sable, partout le sable : nuages de particules fines, mirages, échos démultipliés. Graves fracturés au premier plan, aigus zigzaguant à l'arrière, tourbillons, le vent, puis la retombée dans la lenteur majestueuse, l'envolée des djinns, peut-être emploi de ce fameux violon Stroh, à pavillon, amplifié (qui serait originaire de Birmanie). On est en pleine cérémonie magique, chamanique, une basse rentre en transe pour finir.

   Que reste-t-il ? Rien sinon le ciel bleu, traduction du quatrième titre, "Nothing but Blue Sky", très ambiant et mélodieux : sculpture sonore délicate, raffinée, volutes et torsades en apesanteur qui s'éloignent ensuite dans des battements d'ailes aigus, d'aériennes nappes d'orgue. Au bout, c'est le Royaume de la Terre, "Kingdom of Earth" mystérieux, dépouillé, poignant. Terre des surgissements somptueux, irréels. L'alto déroule une mélopée très lente devant un paysage sonore mouvant qui s'anime peu à peu. Le système Doepfer A-100 modulaire de Michel Banabila fait merveille : textures miroitantes, on ne sait plus très bien ce qu'on entend, tout peut advenir dans ces changements à vue, ces virées diaphanes, ces timbres évanescents qui se résorbent dans un souffle.

   Un superbe mariage électro-acoustique !!

Paru en 2014 chez Tapu Records / 5 titres / 46 minutes

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Alto, Doepfer A-100 modulaire...et violon Stroh.

Alto, Doepfer A-100 modulaire...et violon Stroh.

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 août 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 24 Septembre 2014

Spyros Polychronopoulos - Piano Acts

   Quel plaisir de retrouver Spyros Polychronopoulos, alias Spyweirdos, alchimiste des musiques électroniques, ici en compagnie, sur deux titres, du pianiste et compositeur Antonis Anissegos !

   Quatre actes pour près de cinquante minutes d'étrange beauté. Dans l'acte I, le piano est méditatif, confronté à un jeu d'ombre et de lumière, comme s'il rencontrait un double plus dans les aigus, avec des sons de clavecin, des sons préparés, à l'intérieur de l'instrument aussi. Beaucoup de notes résonnent longuement, dérapent sur le silence. À quelle cérémonie secrète sommes-nous conviés ? Nous tendons l'oreille, émerveillés par la délicatesse de la procession des notes, le lent déploiement des strates harmoniques qui ondulent.

     L'acte II se présente comme une reprise ad libitum de boucles lancinantes, dans lesquelles le piano est comme enserré dans un filet chatoyant de sons électroniques. Pièce très minimaliste, savamment émaillée de variations qui brouillent la donne jusqu'au vertige, elle multiplie décalages, changements rythmiques, glissandos, perturbations bruitistes, surgissement de sons parasites, sans que la phrase initiale disparaisse totalement si ce n'est dans les deux dernières minutes où elle subit une anamorphose monstrueuse avec disparition du piano et un long drone noir.

   Deux pianos semblent se répondre de part et d'autre d'un miroir dans l'acte III. La pièce est hiératique, hypnotique, comme en lévitation. L'un des pianos s'efface parfois dans un brouillard harmonique avant de reparaître et de se tenir à nouveau face à l'autre piano imperturbable. Des bruits divers s'invitent, parasitant les interstices : quelque chose se défait tandis que le piano répète ses quelques notes de manière de plus en plus carillonnante. Une dialectique de l'ordre et du chaos est à l'œuvre. Le rythme s'accélère insidieusement, dirait-on, mais le piano impassible, implacable, continue d'abattre ses marteaux ; le deuxième piano devient plus libre, joue ailleurs, avec l'orchestre surgissant par brusques mouvements comme un magma.

   Le dernier acte propose un phrasé plus jazzy, traité avec un minimalisme radical : une série de boucles de plus en plus serrées, qui semblent se mordre la queue, si bien que la ligne mélodique paraît comme une suite de boursouflures précipitées, effet de la rémanence des notes se bousculant. D'imprévus ralentis ou suspensions aèrent le cours tumultueux de la pièce, libérant de brèves bouffées lyriques. S'agit-il encore de deux pianos, d'un monstre à deux dos, ou bien d'un piano mécanique endiablé ? Car on pense parfois à Conlon Nancarrow avec cette composition virtuose, étincelante. La fin élégiaque, totalement imprévue, est magnifique, éblouissante d'être porteuse de fractures sèches, elles aussi d'une liberté belle.

   Un disque qui confirme l'importance de Spyros Polychronopoulos, aussi à l'aise dans l'électronique que dans l'acoustique. Splendide, jubilatoire, étrange : c'est Spyweirdos en majesté ! 

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Paru en 2014 chez Room40 / 4 titres / 48 minutes

Le disque n'existe pas sous forme physique : il est en téléchargement libre.

Pour aller plus loin

- le site personnel du compositeur (qui permet de télécharger librement les quatre actes en renvoyant au site du label australien Room40 (label de Lawrence English).

- album en écoute et en vente sur bandcamp  :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 août 2021)

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Publié le 16 Septembre 2014

Bryce Dessner, la renaissance symphonique.

   Voici peu, je chroniquais du même Bryce Dessner Aheym interprété par le Kronos Quartet. Signe des temps, le prestigieux label Deutsche Grammophon, référence des amoureux de la musique classique, vient de publier des compositions pour orchestre de deux musiciens de la scène pop rock, Bryce, guitariste de The National, et Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead. Si le dernier a déjà une reconnaissance internationale dans le domaine symphonique depuis sa création de la suite pour le film There will be blood en 2007, Bryce Dessner le rejoint, confirmant la fin d'une époque où scène rock et classique, pour aller vite, se tournaient le dos. Les efforts de Bang On A Can et de ses fondateurs David Lang, Michael Gordon et Julia Wolfe n'y sont sans doute pas étrangers. On pourrait certes remonter aux années soixante-dix et aux nombreuses tentatives de rapprochement opérées par bien des musiciens ou groupes, qu'on songe à The Who, Neil Young pour en citer deux très connues. Mais le monde classique regardait ces efforts avec une certaine condescendance, persuadé de sa supériorité. Les temps ont changé. De nombreux pianistes classiques revendiquent leur éclectisme, cherchent la performance comme les rockeurs. Le Kronos Quartet est passé par là, qui a fait taire les sceptiques. Les frontières ont peu à peu volé en éclat. Et la Deutsche Grammophon, encore elle, consacre une collection aux "Recomposed by...", magnifique collection où l'on trouve Max Richter et sa recomposition de Vivaldi, Karl Craig et Moritz Von Oswald s'attaquant à la Symphonie espagnole de Maurice Ravel et aux Tableaux d'une exposition de Modeste Moussorgski.

   Je laisse de côté la suite de Jonny Greenwood pour le film de Paul Thomas Anderson, très belle musique de film, dramatique à souhait, mais à mon sens assez convenue, pour m'intéresser aux trois pièces de Bryce Dessner.

   La première, "St Carolyn by the Sea", est inspirée par un épisode de Big Sur de Jack Kerouac. Le début est très doux, mystérieux, ouaté, la guitare de Bryce fondue dans le tissu orchestral, puis se détachant cristalline, interrogative, doublée par celle de son  jumeau Aaron (les frères Dessner sont quatre dans The National). Le son monte, l'orchestre donne de la voix, frémit. On entre dans la tourmente, majestueuse, ample, les violons déchirant l'espace de grandes courbures. Les percussions se déchaînent. La vision hallucinée de Kerouac se déploie dans des fulgurances lumineuses. Tout l'espace est occupé par l'orchestre survolté. C'est absolument superbe, avec des couleurs orchestrales variées. L'écriture est rigoureuse, claire, au service d'un dynamisme rayonnant. Par moment, des passages rêveurs aèrent cette composition puissante, notamment dans les dernières minutes, où les guitares sont justes secondées par quelques instruments de l'orchestre. Un bref crescendo final ponctue cette première pièce admirable.

   Le "Lachrimae" qui suit, inspiré de John Dowland, mais aussi de Benjamin Britten qui écrivit à partir de Dowland, du "Divertimento" de Bela Bartok pour l'écriture des cordes, est tout aussi convaincant, personnel. Après quatre minutes de discrets glissandi de cordes, de réveil orchestral pourrait-on dire, quelque chose comme une aube fragile, tâtonnante, on assiste à des surgissements aigus, acérés et brillants, avec en contrepoint un violoncelle grave. Une cadence saisit l'ensemble, le vent se lève, un violon chante, tout est suspendu dans le miracle de l'avènement qu'on sent venir. Les cordes s'agitent en tremolos répétés, guettent le mystère avec inquiétude. La lumière souffle, les cordes étincellent, je songe à certains magnifiques passages de "Weather" de Michael Gordon. C'est un orage sans tonnerre, une suite d'éclairs vibrants. Une coda fastueuse et caressante referme la composition.

" Raphael", la plus longue des trois compositions de Bryce Dessner, plus de dix-sept minutes contre un peu plus de treize pour les deux premières, parachève cet itinéraire passionnant. Mystère des appels des graves, interstices de lumière créent une atmosphère extatique ponctuée par la guitare retenue, profonde. La musique de Bryce Dessner est d'un romantisme sans mièvrerie, celui des origines, qui aspire à l'Infini, à la Beauté. L'orchestre est diapré, produit des drones ensorceleurs. La guitare resurgit de ce magma merveilleux, étincelante, pour conduire la suite du voyage de l'archange. Boucles enivrantes, pulsation puissante : joie écrasante, avant la retombée, l'harmonium élégiaque, un cor au loin, des cordes qui virent doucement, un violoncelle à la limite de l'audible, un unisson à la Arvo Pärt, une nostalgie chavirante.

   Un album vraiment superbe, qui ouvre de beaux jours aux orchestres symphoniques à l'écoute des compositeurs d'aujourd'hui. Remercions le chef du Copenhagen Phil, André de Ridder, actuel essentiel de ce renouveau. Encore un disque qui prouve la vitalité de la scène musicale néerlandaise !

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Paru en 2014 chez Deutsche Grammophon / 19 titres / 66 minutes

Pour aller plus loin

- le site de Bryce Dessner, très beau !!

- "St Carolyn by the Sea" en écoute :

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales