Publié le 3 Avril 2024
Comme il est bon d'entendre une musique qui ne prétend rien d'autre qu'être musique, qui ne défend aucune cause, qui ne s'englue dans aucun bon sentiment ou dolorisme, qui ne se camoufle derrière aucune théorie ou aucun concept. Voilà un pianiste et compositeur, Roman Rofalski, qui n'aime pas tourner en rond dans les mêmes ornières. Inspiré par Andy Stott ou Tim Hecker, sans doute aussi par Pierre Boulez et même Morton Feldman, ce musicien ne dédaigne pas les expérimentations et tiendrait volontiers compagnie à Klaus Schulze et Karlheinz Stockhausen ! Ses oreilles n'aiment pas les frontières. Là on respire, on ouvre ses oreilles, et on a bien raison !
Roman Rofalski a pris les sons magnifiques de son piano à queue Schimmel K280, piano souvent préparé, et les a « déchiré » dans une combinatoire multiple à coup de réenregistrements, boucles, coupes, déformations et extensions sonores parfois brutales, inventant un nouvel instrument décapé de toute molle sentimentalité. Du rythme, de l'énergie, des résonances multipliées, une musique aux formes découpées, fracturées...
Le premier titre, "Perpetuum", associe au piano incisif, éblouissant, la batterie énergique du néerlandais Felix Schlarmann et des tapis de grondements menaçants. Un bel orage initial ! "Bass resonance" nous ramène au piano préparé, quelques notes suspendues, déformées, arrachées, fracturées et lancées résonantes dans l'espace en de longues trajectoires râpeuses ou entourées de brouillards de particules. Pièce ramassée, tendue, qui ménage de belles échappées lumineuses par-delà les basses en rafales sourdes. Superbe !
"Slow Fox" (titre 3), c'est de l'essence de piano transfiguré : longues résonances, frappes glacées, bourdons déchirés. Une magnifique flagellation sonore ! Et "Fractal Waves" qui suit, c'est une plongée dans une ambiante noire, peuplée de boucles rapides. La composition est d'un minimalisme halluciné, le piano devenu pure percussion, fondu avec les percussions synthétiques, enveloppé d'un halo de vertige brumeux, de grésillements et sifflements.
Avec "Calum" (titre 5), le piano devient comme une projection de sons électroniques en grappes serrées : pièce étrange, multi-fracturée, en hommage à deux musiciens électroniques et informatiques, l'écossais Calum Gunn et l'artiste interdisciplinaire Mark Fell installé à Rotherham au Royaume-Uni. Au contraire, "Opsi" (titre 6) semble revenir au piano pur, un piano tranchant, implacable, avare de ses notes, sur fond de paysage d'électronique tintinnabulante, de grondements de plaques tectoniques : sur quelle planète lointaine sommes-nous ?
Le dernier titre, "Bumper", hésite entre ambiante mélancolique et musique onirique. Le piano est presque caché au centre d'un lent tourbillon, d'un fourmillement de bruits insolites qui donne l'impression d'une sorte de hip-hop industriel absolument fascinant.
Une étincelante réussite, celle d'une écriture ciselée, minimale et terriblement efficace !
Paru le 19 janvier 2024 chez Oscillations (Londres, Royaume-Uni) / 7 plages / 30 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :