Publié le 21 Janvier 2018
Dize, paru en février 2017 est le huitième album du trio constitué par les frères Kleefstra, Romke à la guitare et aux effets, Jan côté voix parlée et poèmes, et Anne-Chris Bakker, guitare et effets. Je suis déjà depuis un certain ces musiciens néerlandais discrets, plus particulièrement Anne-Chris Bakker, dont j'ai célébré les sublimes Weerzien (2012) et Tussenlicht (2013). J'avais aussi consacré un article au DVD Sinne op'e Wangen, collaboration entre le trio et la vidéaste Sabine Bürger.
Pour mémoire, je rappelle qu'ils collaborent notamment avec Machinefabriek, qu'ils font partie de The Alvaret Ensemble. Bref, ils tissent une toile dont je rends compte assez régulièrement dans ces colonnes, tant leur musique me semble essentielle.
Dize, c'est le brouillard en frison occidental, la langue de la Frise, cette province du nord des Pays-Bas. Jan Kleefstra persiste depuis des années à écrire dans cette langue qui a statut de langue officielle à côté du néerlandais. De disque en disque on retrouve sa voix calme disant les courts poèmes autour desquels se construit la musique de son frère et d'Anne-Chris Bakker. Il s'agit comme d'habitude d'une session entièrement improvisée. Ci-dessous la traduction du premier poème, traduction faite à l'aide de la traduction anglaise proposée par la pochette et d'un dictionnaire frison - français. Merci de me signaler d'éventuelles erreurs !
De Holle As Asem (La Tête comme Souffle)
« Je masse ta tête entre mes doigts
Ce ne sont pas les nuages qui changent
C'est le vent qui fraîchit
Ce n'est pas la voix qui raconte
C'est le souffle qui est troublé »
Chaque morceau forme une lente dérive sonore, rythmée par les notes détachées de guitare sur fond d'effets mouvants. "De Holle As Asem" est comme une longue série de frottements insistants qui s'insinuent dans notre cerveau. Déchirures lumineuses enveloppées d'épaisses volutes sombres se propageant dans l'espace devenu incandescent. La musique de "Spilsieke Rein" ("La Pluie dilapidatrice" ? ou "gaspilleuse") vient de très loin, drones en voyage, ciel lourd de striures et de marbrures mouvantes, brouillard électrisé. Battements profonds, notes tenues, surgissements plus clairs dans la caverne cervicale agrandie aux dimensions du cosmos, et la voix qui parle d'outre tout au beau milieu de la splendeur envahissante, avec une longue coda sourdement illuminée par une traînée plus aiguë d'une envoûtante suavité. Une lente torsion noire ouvre "Ut Har eagen Bliedze" ("Saignant de tes yeux"), torsion qui s'enfle ou se charge d'autres sons. « L'hiver t'a dévêtu / Continuellement le compte trop tardif des tapis de lune / Tissés à travers ton plus proche silence // Pourrais-tu tirer un nœud coulant autour du cou avec le réseau d'une ficelle // D'épaisses veines protubérantes fondent la ténèbre » (Traduction sous toute réserve...). Contrairement à ce qu'un des rares commentateurs a pu dire de cette musique, il ne s'agit absolument pas d'une musique froide, glaciale, comme on pourrait l'induire de l'origine géographique des musiciens (c'est un lieu commun aussi pour parler des musiques scandinaves !). Cette musique, en effet, fond la ténèbre qui la nourrit et qu'elle embrasse, qu'elle embrase sous les cendres accumulées. De même que « la neige devient pluie », la ténèbre se révèle porteuse d'une lumière chaude, diffuse, intériorisée, bienfaisante. "Moannegat" ("Trou de lune" ou "Anus de lune") tourne autour d'un module creux, véritable aspirateur de fantasmes sonores : gravitations éternelles « dans un champ au-dessus du monde / Mer frissonnante dans la gorge / Nid sur l'épaule ». La pièce est prodigieuse, parcourue d'un vent cosmique puissant, superbe générateur de beautés voyageuses sidérantes.
Pas de titre pour la dernière improvisation, ultime plongée de quatorze minutes (comme pour le titre précédent) dans cet univers traversé, traversant, en rupture de temps, capté par des musiciens inspirés, à l'écoute de l'infini à notre portée, en nous, de l'infini qui nous libère de toutes les pesanteurs, de tous les drames. Dans le ciel saturé d'un brouillard d'oiseaux immémoriaux, la naissance toujours recommencée de la splendeur.
À écouter sans fin, sans modération !
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Paru en 2017 chez Midira Records / 5 plages / 57 minutes environ.
Pour aller plus loin :
- l'album en écoute et plus :
- Une vidéo du label pour "Spilsieke Rein" :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 septembre 2021)