Publié le 16 Septembre 2024

Marcus Fjellström - The Last Sunset of The Year

[À propos du disque et du compositeur] 

  L'an dernier, j'avais rendu un hommage tardif à Marcus Fjellström (1979 - 2017), compositeur suédois redécouvert dans mes piles de disques. Ce 20 septembre sortira The Last Sunset of the Year, une compilation de ses dernières œuvres rassemblée par Erik K Skodvin, compositeur et fondateur du label berlinois Miasmah, et Dave Kajganich, producteur et scénariste. Il aura fallu sept ans de travail pour la mener à bien. Si elle comporte des pièces écrites pour la bande originale de la première saison de la série télévisée The Terror, qui racontait l'échec de l'expédition Franklin de 1845 pour trouver le fameux passage du Nord-Ouest, elle apporte de nombreux inédits composés pendant cette période. Les pièces rassemblées forment un ensemble cohérent dépassant le cadre de la série. Il faut donc considérer le disque comme l'ultime témoignage musical de ce maître de l'étrange musical.

   Le titre de l'album vient du moment où des marins britanniques, coincés dans la banquise hivernale, se tiennent sur le pont d'un des navires condamnés pour regarder le soleil se lever à l'horizon un bref moment puis se coucher immédiatement après, dernier coucher de soleil avant six semaines d'obscurité : ultime beauté...avant leur propre mort !

  L'ensemble est structuré en quatre grandes parties ("Last Morning Watch" / "Last Draughts, Last Best Efforts" / "Last Fixed Position" / "Last heat, Last Exertions" ), elles-mêmes respectivement subdivisées en sept, sept, cinq et sept sections, si l'on veut se référer à une narration.

[L'impression des oreilles]

Marcus Fjellström, sculpteur sonore de la Terreur

   L'album commence de manière très orchestrale par un mouvement lent et majestueux suivant le lever de la lumière, toute ourlée d'ombre. Ce déploiement fastueux se poursuit pendant "Last Morning Watch II", déjà envahi par le mystère : enroulements aigus sur fond de bourdons, atmosphère feutrée. Le larghetto du III se fait plus menaçant, plaçant les arpèges d'une harpe (?) folâtre sur une toile très sombre traversée au loin par des claquements. Tout ce premier ensemble est marqué par une attente sourde devant des manifestations naturelles à la fois magnifiques et angoissantes. C'est un véritable poème symphonique aux couleurs diaphanes, d'une bouleversante douceur.

 

 

   La seconde partie, "Last Draughts, Last Best Efforts", s'assombrit nettement, d'une lenteur menaçante. L'atmosphère se raréfie, se coagule. Le magnifique andantino (X), miracle fragile, est comme une ultime marche sur la glace tandis que les menaces s'accumulent. Marcus Fjellström donne à l'ambiante sombre ses lettres de noblesse, ciselant la densité ténébreuse dans les pièces suivantes pour en extraire le potentiel fantomatique. L'adagio (XIV) termine cette partie en faisant du piano lumineux un funambule condamné à tourner en rond dans un monde épaissi où les vents meurent.

   La troisième partie, "Last Fixed Position", est la plus intensément tragique. Le compositeur y déploie un art magistral de la fresque angoissante. Densité sombre et grandiose du puissant XVI, et puis voici l'halluciné XVII, le plus long titre, chef d'œuvre de l'album, comme une danse macabre de squelettes grelottants de scorbutiques, pestiférés à leur manière (on entend leurs clochettes...) entourés de vents fuligineux... Tout se défait ensuite dans des frottements, lueurs d'orgue ténues, hululements minuscules, ce très beau XVIII bruissant, puis comme des voix spectrales dans des halos troubles, le sépulcral XIX, très lent tourbillon de mort.

   Entendrait-on les trompettes du jugement ? C'est "Last Heat, Last Exertions", les derniers sursauts avant la grande immobilité. Les vents glacés balaient le paysage où bégaient des réminiscences pastorales dérisoires (XXI). Les blocs de glace s'entrechoquent. La venue des ultimes délires (XXII) se manifeste par des cordes folles et de bourdons profonds,  des inflexions courbes. La pièce XXIII est un des autres sommets de cette album par son art de la concision, de l'allusion. La musique d'horreur de Marcus Fjellström refuse une dramaturgie pathétique ou grandiloquente. Elle cerne l'inquiétante étrangeté par des climats, ici le tambourinement dans la couche des bourdons et des levées de cordes frémissantes. La pièce suivante (XXIV) n'est pas moins réussie, dernières stries dans les noirs d'encre d'orgue de catacombe. Des trompettes sonnent encore en XXV, accompagnement funèbre d'un lent engloutissement qui se poursuit en XXVI par des sons tenus, glissendos decrescendo...

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Entre expressionnisme dépouillé et néo-classicisme visionnaire, le testament impressionnant d'un compositeur majeur de l'ambiante la plus sombre.

Paraît le 20 septembre 2024 chez Miasmah Recordings (Berlin, Allemagne) / 28 plages / 1 heure et 27 minutes environ

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Publié le 10 Septembre 2024

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow - Material

[À propos du disque et des compositeurs]

Connor D'Netto et Yvette Ofa Agapow sont deux musiciens australiens pouvant être présentés comme "post-genre", tant ils mêlent de tendances et d'influences. La musique de Connor D'Netto navigue entre post-minimalisme, néo-classique, pop, musique électronique ; celle de Yvette Ofa Agapow est entre bruitisme, ambiante, musique de bourdons, etc. Première collaboration entre les deux artistes, Material est l'instantané de deux tranches de vie, sorte de collage sonore marqué par des souvenirs et événements personnels, traumatiques ou non, et leur goût pour des matériaux sonores comme les bandes magnétiques, le métal, les fibres naturelles et divers objets. Élaboré sur une longue période, le disque comporte cinq parties titrées "Material" I à V, avec ajout de quelques mots en guise de programme : "chute rugueuse, bras écorchés" / "lin posé sur la pierre" / "ça vient par vagues" / "déficit en dopamine" / "à temps"

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow par George Levi

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow par George Levi

[L'impression des oreilles]

  Au début, l'impression d'une musique post-industrielle : machines errantes... Mais les bourdons opaques, les longues traînées spiralées créent un univers sonore énigmatique, celle d'une musique ambiante hantée en son cœur par des présences discrètes, dissimulées derrière des blocs se transformant soudain en sources de lumière, et c'est le très beau "Material II", lin posé sur la pierre, liquide et ouaté, flux minimaliste à la douce pulsation, très reichien jusque dans l'usage de marimbas ou instruments voisins : pluie micro-syncopée en gouttelettes micacées, sous-tendue de drones de velours !

   Entre de brèves ponctuations percussives, "Material III" alterne glissandos ténus comme sur le bord d'un verre et vagues surgissantes, violentes et râpeuses, tornades troubles au milieu desquelles s'entrechoquent des nuages de particules. Peu à peu, les glissandos s'étoffent de phrases mélodiques animées que les vagues détruisent rageusement sans parvenir à les faire disparaître : la fragilité renaît au cœur des tourmentes !

    "Material IV", déficit de dopamine, paraît désarticulé, percussions erratiques comme des bulles dans le vide, parfois troublées de déflagrations mourantes, puis cela se construit, se sédimente, coagule dirait-on autour de vagues électroniques, de grouillements, de déchirures, avec un crescendo crachotant, lacéré par les cymbales, orgasme douloureux avant l'apaisement.

   La voix humaine apparaît en "Material V", voix fragile dans un milieu quasi amniotique, caverne de bourdons continus et de clapotis. Une voix infra-humaine (masculine ?) semble répondre à la voix féminine en un étrange duo ralenti tandis que s'éteignent les dernières sombres couleurs musicales.

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Une fantaisie électronique en cinq mouvements nimbée d'une belle aura poétique.

 

Paru début août 2024 chez Room40  (Brisbane, Australie) / 5 plages / 38 minutes environ

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Publié le 2 Septembre 2024

Luca Perciballi - Sacred Habits

[À propos du disque et du compositeur]

  Installé à Modène en Italie, l'artiste sonore et compositeur Luca Perciballi explore les potentialités sonores de la guitare depuis une dizaine d'années. En 2021, il jouait de la guitare acoustique et électrique sur Didone d'Alessandro Bossetti, compositeur passionnant que l'on retrouve aussi sur le label Unsounds, régulièrement présent ici. Sur ce nouveau disque, il recourt à une guitare « augmentée » par l'électronique, des préparations de l'instrument, des haut-parleurs préparés et de la percussion avec ses pieds.

[L'impression des oreilles]

   D'un titre à l'autre, la guitare se métamorphose. Caquetante, véritable basse-cour de gallinacées ou d'oiseaux métalliques, elle se stratosphérise en quelques secondes, brûle comme une guitare de rockeur survolté. "Sacred Habits IX" est à cet égard un sommet hallucinant, qui nous entraîne dans des espaces magnétiques, stratifiés de vibrations, saturés de bruits amplifiés. "Sacred Habits II" joue sur un tapis de drones d'orgue une partition de guitare toute en griffures électrisées, troubles.

   Horloge enrouée et claudicante, "Sacred Habits III" assène un rock épais, acide se terminant sur un crescendo énorme. Luca Perciballi explore toutes les portes de l'étrange, s'offre le luxe d'une ambiante fantomatique sur "Sacred Habits IV", aux textures arrachées. Quant à "Sacred Habits VII", il prend des allures de rituel...tibétain, la guitare devenue trompes (au pluriel !), accompagnée d'une percussion puissante. Ses incursions dans des genres dont il bouscule allègrement les frontières ne l'empêche pas d'écrire de superbes moments de guitare pure (enfin presque...), comme dans "Sacred Habits X", fin, étincelant : de toute beauté !

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Un disque éblouissant, qui se termine sur l'extatique et iconoclaste "Sacred Habits XI".

 

Paru en juin 2024 chez Kohlhaas Records (Trento, Italie) / 11 plages / 43 minutes environ

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Publié le 26 Août 2024

Giraffe - ATOMS

[À propos du disque et des compositeurs]

Le trio GIRAFFE, de Hambourg, est composé de Sasha Demand à la guitare, de Jürgen Hall aux claviers et à l'électronique, et de Charly Schöppner aux percussions, ce dernier décédé avant la fin de l'enregistrement. Ce disque a été réalisé dans le garage de Schöppner, puis, posthume, terminé par les deux autres membres. Il comprend neuf compositions improvisées d'une durée de six à plus de neuf minutes chacune.

[L'impression des oreilles]

   On ne balance pas longtemps avec un tel disque. L'album forme manifestement un tout, d'où la numérotation de 1 à 9 (dans le désordre). Ces trois-là entraînent l'auditeur dans le creuset magnétique d'une électro-pop expérimentale hantée, celle de la giration des atomes, chargée de luminescences. C'est une musique intense, dense, solidement structurée par les percussions. On passe d'un post-rock sombre, incandescent, traversé de sirènes et de larges ondulations synthétiques striées de guitare ("ATOM IX"; titre 3), à une musique minimale déchirée, lancinante comme l'extraordinaire "ATOM VIII" (titre 4).

"ATOM VII" (titre 5) allie magistralement percussions variées, claquantes, modulations synthétiques, guitare préparée dans une pièce post-industrielle en fusion, lacérée. "ATOM VI" (titre 6) gronde et chuinte entre des frappes lourdes : musique noire, d'une énergie condensée, musique hallucinée d'un monde pilonné chantant sous les bombes !

Les trois bonus numériques (ATOM II, III, et IV) sont tout aussi impressionnants, plus hiératiques, arides. Le II et le III semblent l'émanation d'une créature fantomatique, enchaînée dans un monde glacial. Une musique idéale pour L'Enfer de Dante ! Au contraire, le IV s'envole, orgue grandiose et ténébreux charriant dans ses plis un capharnaüm percussif, comme une révolte de la matière rebelle à la transcendance. Quelle apothéose...pandémoniaque !

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Un des grands disques de cette année. Une écriture d'une puissante fermeté, à tel point qu'on en oublie la dimension improvisée, trop souvent synonyme de relâchement et de complaisance. Magnifique !

Paru en juin 2024 chez Stoffe (Hambourg, Allemagne) / 9 plages / 1 heure et 3 minutes environ

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Publié le 22 Août 2024

Patrick Giguère - Intimes Exubérances (Cheryl Duvall, piano)

Brève(relativement...)estivale 9... pour un disque de pur piano solo. Une succession ininterrompue de dix-neuf mouvements découpés en quatre plages d'une durée comprise entre dix et dix-huit minutes.

   Le piano est l'instrument principal du compositeur montréalais Patrick Giguère. Intimes exubérances  est sa première œuvre d'envergure pour piano, écrite après avoir évité l'instrument pendant presque quinze ans, confie-t-il. Comme il laisse une place importante à l'improvisation et à la collaboration dans son processus créatif, la pianiste de Toronto Cheryl Duvall, y a imprimé sa marque. Rappelons que celle-ci est également la co-fondatrice de l'ensemble de musique de chambre Thin Edge New Music Collective, présent sur le disque Dark Flower de la compositrice canadienne Linda Catlin Smith sorti en novembre 2023 chez la même maison de disque.

Le compositeur Patrick Giguère par Marianne Larochelle

Le compositeur Patrick Giguère par Marianne Larochelle

La pianiste Cheryl Duvall par Marianne Larochelle

La pianiste Cheryl Duvall par Marianne Larochelle

   Le titre Intimes exubérances semble un oxymore, rapprochement de deux termes en apparence contradictoires. L'écoute de l'œuvre invite à comprendre cet attelage comme une fusion, la combinaison infiniment variée de deux mouvements, l'un vers l'intériorité, l'autre vers l'extériorité, le premier dominant le second. « exubérance » ne connote ici jamais l'excès, mais une vitalité, une vigueur de style, une richesse de formes (voir le mot sur le site du Centre National de Ressource Textuelles et Lexicales), commandé et régulé par l'intime. Les beaux sous-titres des quatre parties vont dans ce sens : primat de l'émotion, de l'expression du plus profond de la vie psychique.

   " À la frontière de l'intangible" commence dans une douceur ouatée de résonances par la pédale de soutien. Sur un tapis calme éclosent de vives fleurs, se lèvent de fraîches émanations. Admirable début méditatif, délicatement extatique. On oublie tout, on se laisse porter. Lorsque l'exubérance soulève plus fortement le flux, elle ne le détruit pas, elle en est le fruit intérieur porté au jour, sa puissance vitale explosant en matière orchestrale, en couleurs débordantes, se chevauchant, se bousculant dans une joie intense. Puis tout se cabre, se calme peu à peu, comme si on domptait un cheval rétif. Retour au mystère sous-jacent, que les derniers soubresauts ne mettent que mieux en valeur...

     Il faut "Tisser le présent" par l'élan d'une voix dans la lumière première. Patiemment, obstinément, c'est l'exubérance vitale, bientôt une exultation qu'on sent venir de très loin, du fond d'une confiance que rien ne saurait ébranler. La pièce prend une allure répétitive, en longues boucles de grappes de notes escaladant le ciel, et quand elle s'apaise, elle creuse à nouveau le mystère, quasi carillonnante, avant de s'enfler à nouveau, dans une rage toujours au bord de l'illumination, au bord d'une indicible douceur. La musique avance ainsi dans ce tumulte de courants opposés, c'est sa grande beauté, sauvage, martelante, et timide, titubante, en lambeaux sur le fil du silence.

   Triomphe du "Corps, hors du temps" : musique puissante, jaillissante, en reliefs marqués, du jazz resserré, s'étourdissant de ses cabrioles. Sans doute le passage où la dimension improvisée s'entend le mieux. "hors du temps" parce que l'ivresse du jeu prime, que le piano étincelle, et que cela seul compte, avant le retour de la mesure en fin de partie.

   "Lueurs en voix" associe d'abord une voix grave, lente, et une voix aiguë, en trilles liquides, avant qu'une voix médiane n'impulse la pièce. Les voix alors s'enlacent étroitement avant de se séparer à nouveau. Un léger balancement anime l'ensemble, cette fois voix grave, recueillie, et voix médiane fougueuse.

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Un grand disque de piano, intense, coloré, expressif et profond. La liturgie de la Vie, grave et bouillonnante.

Paru en avril 2024 chez Redshift (Vancouver, Colombie-Britannique / Canada) / 4 plages / 57 minutes environ

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Publié le 20 Août 2024

Clark3 - From the edges tongues grow

Brève estivale 8...Un article sans gêne, sans honte, à l'image de la maison de disques berlinoise Shameless Records fondée et dirigée par le musicien Boris Hauf.

from the edges tongues grow (mot à mot « Des bords les langues poussent », titre quasi surréaliste) commence avec "08v3" un titre techno-spatial aux rythmes syncopés, cassés, tout à fait excellent, continue avec le très curieux "stangls", surtout au saxophone (synthétique sans doute), entrecoupé de silences significatifs. De quoi être perdu, mais "cherryy" (titre 3) assène une bouillie disco futuriste post-industrielle réjouissante ! "hw26 om", sur une base downtempo veloutée, est une danse électronique cliquetante, concise et efficace. "five a half" semble de l'ambiante revue par Autechre, fouets cinglants, zébrures troubles, gargouillis inquiétants et glacis synthétiques impériaux.

   Nouveau sommet avec le très inspiré "burslow" (titre 6), ambiante spatiale épique, grandiose et dans l'après-tout, d'une mélancolie déchirée, avec une coda presque pastorale de flûtes dans un crépuscule dévasté ! "may day", dans la ligne des titres 3 et 5, poursuit son œuvre de destruction, puissante musique post-industrielle déglinguée soudain touchée par une grâce inconnue, d'où un passage central percussif méditatif, vite parasité par le retour de démons ricanants et d'un pilonnement terminal... Le court "blödmaschinen" fournit la version hallucinée d'une circulation sanguine machinique, techno bondissante dans un milieu aux textures destructurées. Le titre 9, "Song", n'est mélodie que curieusement, cascades synthétiques et lourds battements, boucle lente et lancinante sur fond de désagrégation, de brume mélancolique soudain trouée par un saxophone perdu au beau milieu de ce nouveau monde synthétique (il l'est peut-être aussi... quoique souvenir du monde ancien !). "aphelion" assène le coup de grâce : train synthétique à grande vitesse lancé dans des champs de fractales répétitives, puis ralentissant en raison de terrains troués !

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Un disque en effet sans complexe, évoluant avec virtuosité dans différents genres de musique électronique futuriste. Parfait pour les nuits estivales !

Paru le 2 août 2024 chez Shameless Records (Berlin, Allemagne) / 10 plages / 41 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc..., #Techno et alentours

Publié le 14 Août 2024

Celer - There Were More Failures Than This

Brève estivale 7... pour Celer, alias Will Long, musicien américain installé à Tokyo. Parce qu'il est un des Papes de la musique ambiante d'aujourd'hui, et qu'il était scandaleux qu'il ne soit pas installé chez INACTUELLES, depuis le temps que je tournais autour... !

There Were More Failures Than This réunit quatre pièces parues d'abord uniquement en format numérique en 2021. Réalisées à partir de boucles de bandes et d'instruments analogiques, elles sont dans la filiation de It Would be Giving Up (août 2020).

   Le premier titre, "Like Art, Wandering", presque une demie heure, a imposé la présence de Celer. Ce torrent ambiant balaie tout. Énorme boucle frangée d'éclaboussures, la pièce est monolithique, terrifiante et prodigieuse à la fois. Comme si nous étions dans la matrice de l'Énergie, une énergie colossale, déferlante, perpétuellement renaissante, au cœur de laquelle on croit entendre les fantômes de multiples voix vaporisées. Magistrale errance !

   La seconde pièce, "Whatever I'm Doing, it's Wrong", si elle est moins immersive, prend l'allure d'un lamento lamentable : impossible de sortir de la boucle infernale qui vrille le cerveau nettoyé sous haute pression, envahi de percussions frémissantes et bourdonnantes. L'orgue se tord sous le sentiment torturant de l'échec. Deuxième réussite majeure !

   Je suis moins enthousiaste pour "At Last", pièce vraiment déprimante, qui n'en finit pas de finir. Heureusement, "Oro Oro" redresse la tête. S'agit-il  d'un acte d'adoration réitéré à une divinité ? Le titre énigmatique laisse le champ libre. Cette quatrième boucle dépassant la demie heure soumet l'auditeur à rude épreuve : tiendra-t-il la durée ? Comme tout mantra, il tend à effacer le sentiment du moi. Il faut accepter de se perdre dans l'Incommensurable. Pas facile. Je préfère nettement les deux premières pièces.

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Deux pièces mémorables, deux autres plus difficiles, d'une austérité répétitive qui peut lasser.

Paru en mars 2021 chez Two Acorns (fondé et dirigé par Will Long) / 4 cds / 4 plages / 1h et 47 minutes environ

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Publié le 12 Août 2024

Delphine Dora - Le Grand Passage

Brève estivale 6... pour une musique d'une liberté folle, d'une innocence rafraîchissante !

   Delphine Dora est une compositrice, interprète, improvisatrice, productrice que je suis (irrégulièrement, hélas) depuis au moins 2012, lorsque sortit son album de piano solo A Stream of Consciousness. Un flux de conscience, plus qu'un titre, c'est un programme, une esthétique. Pour ce disque, elle a cédé à un tourbillon d'inspiration. Alors qu'elle terminait une résidence de piano préparé de trois jours, elle a succombé au charme de son piano débarrassé des objets nécessaires à sa « préparation ». En une seule prise, elle a enregistré les huit titres, pour piano et voix. S'abandonnant à la magie de son instrument, elle s'est livrée à lui. Quelques notes seulement rappellent le piano préparé, faisant penser parfois à un portique de cloches.

« La joie est la plénitude du sentiment du réel. »

Fidèle à une ligne ancienne, elle joue de manière intuitive. Piano romantique, si l'on veut, loin de tout propos savant. Du piano qui coule, qui chante, ce qui entraîne par contrecoup sa voix. Elle vocalise à gorge déployée, sans paroles. Elle retrouve naturellement le chemin sublime d'un chant mystique. Il n'est donc pas surprenant qu'elle ait choisi pour titre Le Grand Passage, référence à un livre d'analyses consacré à la philosophe Simone Weil (1909 - 1943). Il y a dans ces huit chants une jubilation communicative, une simplicité désarmante. C'est un disque de célébration, rayonnant, le disque d'une musicienne nostalgique d'une fusion absolue avec l'essence du monde. À l'écouter, on pensera aussi bien à Wim Mertens qu'à Erik Satie ou Dominique Lawalrée : à des musiciens farouchement indépendants, soucieux de ne pas trahir la source vive d'une inspiration qui ne se laisse enfermer dans aucun dogme, aucun discours.

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   Musique à corps perdu dans l'illumination du moment, Le Grand Passage est une suite magnifique d'envolées mélodiques, d'élan vers l'Harmonie Universelle. Baignez-vous dans la Musique de l'Évidence !

Titre en rouge extrait des Œuvres  de Simone Weil (Quarto / Gallimard, p.841)

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Paru en mars 2024 chez Modern Love (Manchester, Royaume-Uni) / 8 plages / 27 minutes

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Titre en rouge extrait des Œuvres  de Simone Weill (Quarto / Gallimard, p.841)

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